will selfferli15Remarquable interview de l’écrivain britannique Will Self dans TELERAMA de cette semaine. Ce qu’il dit de l’affaire Charlie-Hebdo mérite considération, les regards hors hexagone sont toujours éclairants…

TELERAMA – Vous sentez-vous Charlie depuis le 7 janvier dernier?
Will Self – La rhétorique qui émane des défenseurs des valeurs de la République me met en colère. Il y a beaucoup d’hypocrisie derrière tout cela. Si la France était aussi attachée à sa liberté d’expression, pourquoi ne pas l’avoir protégée plus fortement? Je me souviens, du temps de la fatwa lancée contre Salman Rushdie, des moyens de sécurité incroyables qui ont été déployés en Angleterre pour le protéger. Tout ça pour un seul homme! Si la France considérait vraiment la liberté d’expression comme valeur suprême de la République, ce n’est pas un policier qu’il fallait mettre devant le siège de Charlie-Hebdo ces dernières années, mais deux cents! Je trouve qu’on a une vision très réactionnaire de cet attentat. On se réfère au passé, en arguant quels liberté d’expression est un droit de longue date. Mais c’est une idée du passé qui est totalement reconstruite. Il y a encore peu de temps, le blasphème était puni par la loi dans nos pays. Aujourd’hui, le Home Office peut très bien entrer dans cette maison, et nous dire d’arrêter cette interview, pour des raisons de sécurité. Ce serait légal. Donc la liberté d’expression totale est une illusion. Cela n’existe pas.
TELERAMA – Connu pour votre franc-parler, vous tenez tout de même à votre liberté de parole…
Will Self – Oui, mais je sais toujours qui je cherche à déstabiliser. La liberté va de pair avec la responsabilité. Je n’aurais jamais publié une caricature du Prophète. On dit que le bon journalisme réveille les nantis installés dans leur confort, et réconforte les affligés. C’est pareil pour les caricaturistes. Comment les dessinateurs de Charlie-Hebdo ont-ils pu croire qu’ils allaient réveiller les fondamentalistes avec leurs dessins et les faire revenir à la raison? Ces attentats ont un lien avec la mondialisation. A l’heure d’Internet, de la liberté de circulation des informations, si on s’exprime publiquement, on prend la responsabilité d’être entendu n’importe où sur la planète, avec les conséquences que cela implique. La liberté d’expression n’est donc plus un simple enjeu national. Il faut prendre en compte ses répercussions dans le monde entier. Cela ne justifie bien sûr en rien la barbarie des terroristes. Mais cette barbarie ne pourra jamais être comprise. Elle vient de l’emprise du diable sur les hommes.

Illustration: photographie de Maja Daniels pour Télérama.

  1. Aukazou says:

    Ils ne me semble pas que les anglais se soient mieux protégés des attentats djihadistes que nous-mêmes. Comme quoi, il ne suffit pas de favoriser les intérêts particuliers, j’ose le mot « communautaire », pour être à l’abri des terroristes…mais peut-être étaient-ils trop occupés à massacrer des catholiques irlandais pour s’en apercevoir ?

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Patrick Corneau