Ciel
Voûte. Je préfère l’appeler voûte, le ciel. Parce que le regarder tient de l’envoûtement. Aucune expression ne me semble plus belle que la voûte céleste. Aucune sensation plus forte que ce plaisir à être subjugué par l’infini. Un plaisir trouble, certes. Une volupté vertigineuse, une tentation par les gouffres…
Mon frère passe des nuits entières à guetter le ciel. Il parle avec des étoiles mortes depuis des milliards d’années. J’entends encore ses pas sur la terrasse de béton, à l’étage, qui jouxtait ma chambre d’enfant, et ceux, têtus, du trépied du télescope. Nos deux silences communiaient. Tandis que je lisais, il épiait l’infini. Deux formes de rêveries se côtoyaient. Ces plaisirs parallèles sont pourtant liés. Tous deux cherchions à être happés. Nous guettions le moment où réel et imaginaire fusionnent, où la licorne prend corps. Par la scrutation intime de la nuit étoilée, mon frère libérait des mondes insoupçonnés. La lecture, elle, m’arrachait à l’instant pour me plonger dans la durée.
La lecture, comme l’astronomie, est une pratique volontaire de l’enchantement.
Ce texte extrait du délicieux petit livre d’Ingrid Astier, Petit éloge de la nuit (Folio 2€) résonne étrangement en moi, car enfant, adolescent j’ai passé nuitamment beaucoup d’heures l’œil rivé sur l’oculaire de télescopes. Heures merveilleuses et fébriles où je prolongeais le choc reçu à la prime enfance sur l’île d’Oléron devant un ciel d’été, flamboyant, explosant de myriades d’étoiles rendues si proches par leur luminosité parfaite que l’on aurait pu les cueillir tout en déclinant par leur nombre une idée de l´infini. L’envoûtement continuait avec la lecture d’ouvrages d’astronomie, puis de livres tout court, de toute nature. Happé, contaminé par la lecture, je ne savais pas que je m’adonnais là, avec ces deux passions conjointes, diurne et nocturne, à « une pratique volontaire de l’enchantement ». Même si la soixantaine passée la licorne prend toujours corps, le trou noir du « Pourquoi? » est toujours là.
« [Une] chose me rempli[…]t le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique: le ciel étoilé au-dessus de moi… » Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique.
Illustration: Chute d‘étoiles, Anselm Kiefer.
« … penchés à l’avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. »
comme les Conquérants, avancer dans l’inconnu, découvrir de nouvelles étoiles.