fotoavatarmondialLes récents déboires de l’équipe de football brésilienne ont permis de mettre en évidence les limites, voire la « faillite » de la morale de l’affectivité, ce pilier – non sans charme – de la culture brésilienne où même des concurrents ont besoin d’être amis avant tout. Ce pilier sociétal et culturel s’est avéré avoir de fragiles bases d’argile face au monde impitoyable du football international. Aussi, n’est-il pas étonnant que, traversant tous les actes de la vie publique ou privée (le sport comme la politique ou les affaires et même la religion), cette « éthique de l’émotion » comme l’appelle Sérgio Buarque de Holanda dans Racines du Brésil (Raízes do Brasil) n’arrive pas à produire une morale sociale consistante dans le monde tel qu’il est géopolitiquement. C’est ce qui explique le fait que la République brésilienne a été l’œuvre de positivistes ou d’agnostiques et que l’Indépendance a été réalisée par des francs-maçons. La grandeur, la force de la doctrine d’Auguste Comte tenait pour ses adeptes brésiliens à sa capacité de résister à la fluidité et à la mobilité de la vie. Il y aurait donc à la base de la confiance des Brésiliens dans le pouvoir miraculeux des certitudes, des définitions irrécusables et impératives du système comtien, une horreur secrète de leur réalité psychologique, une possibilité de contrer, voire de réformer, leur manque de rigueur, de méthode ou de prévoyance, leur naturel instable et négligent, leur peu d’aptitude au spéculatif, etc. Thèse intéressante qui permet de modérer les propos apologétiques sur les caractères distinctifs du Brésilien et d’éviter de le situer dans le meilleur des mondes. Sérgio Buarque de Holanda prévient que « la vie en société [et pour le Brésilien, le « futebol », son microcosme] est, d’une certaine façon, une véritable libération de la crainte qu’il éprouve à vivre avec lui-même ». En contrepartie, dans un autre passage, il note avec finesse que dans l’attitude d’abandon, de nonchalance, de laisser-aller des Brésiliens, il y a « un réalisme foncier qui accepte la vie telle qu’elle est, sans complication, sans illusions, sans impatience, sans agressivité et, souvent, ajoute-t-il, sans gaieté ».
N’en déplaise au monde féroce de la FIFA (sans nul doute « positiviste » dans l’âme) nous continuerons à souhaiter que les Brésiliens persistent dans leur « manque de sérieux »*, c’est la meilleure des leçons civilisatrices qu’ils puissent nous offrir car comme le pensait Oscar Wilde, « il ne faut pas prendre la vie au sérieux car on est sûr de ne pas s’en sortir vivant! »

*Phrase, attribuée à tort au Général de Gaulle par la presse brésilienne alors qu’elle  est de l’ambassadeur brésilien Carlos Alves de Souza Filho.

Illustration: Getty Images.

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Patrick Corneau