Wittgenstein facehmorganlettrine2Pour le penseur abscons, et notoirement mal embouché qu’était Ludwig Wittgenstein, la photographie figurait parmi ses moyens préférés d’expression et de perception. Comme il l’écrit dans les célèbres Investigations philosophiques: « Don’t think, look! » (« Ne pense pas, regarde! »). Pour le cérébral philosophe, une photographie n’est pas une trace, mais une « probabilité ». Les Archives Wittgenstein à l’Université de Cambridge possèdent la photo ci-dessus, une véritable « probabilité » en ce qu’elle ne représente pas une seule personne, mais est un assemblage de son visage et de ceux de ses trois sœurs, faite en collaboration avec le « père fondateur de l’eugénisme », Francis Galton. Les quatre photographies distinctes sont ci-dessous.

wittgenstein-and-sistersDe l’image composite, le responsable des archives, Michael Nedo, écrit que « Wittgenstein recherchait une clarté différente exprimée par le flou photographique. » Galton a voulu travailler sur une probabilité, alors que Wittgenstein a vu cela plutôt comme une synthèse dans laquelle toutes sortes de possibilités sont révélées dans le flou.

Le flou est un mot rarement appliqué à la pensée de Wittgenstein, surtout à ses premiers travaux. Dans le Tractatus Logico-philosophicus, son seul but est la clarté de la pensée supposée dissoudre dans une série d’assertions impeccablement logiques tous les problèmes – soi-disant « flous » – de la philosophie. Les photographies de Wittgenstein sont étrangement distantes et aussi mystérieuses que l’homme lui-même. Le portrait de lui (ci-dessous), pris selon ses instructions à Swansea, au Pays de Galles en 1947, est une image emblématique: le regard de Wittgenstein a une expression de défi avec un rictus de léger dédain envers l’appareil photographique, alors que le mur derrière lui montre un embrouillamini de rayures et de gribouillages. Dans le coin en haut à droite, le mot RAW (« BRUT », « CRU ») est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du philosophe.

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Illustrations: archives Wittgenstein, université de Cambridge.

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Patrick Corneau