Capture1Analysant « Les manières de voyager » dans Comment supporter sa liberté*, ce très beau livre élégamment mélancolique que je ne cesse de relire, Chantal Thomas s’attache à montrer les ravages du tourisme, « réalisation achevée d’un univers de la désespérance ». Pour ce faire, elle évoque un récit** imparable de Colette: celle-ci reçoit, un après-midi, la visite d’une jeune femme qui lui dit, pointant du doigt, au-dehors, sa voiture nickelée: « Je vous enlève demain matin! Soyez prête à sept heures et fiez-vous à moi. On déjeune à B. à midi tapant. On goûte à C. à quatre heures. Et je veux que ma langue se couvre d’ulcères si la demie de sept heures ne nous trouve pas à D. les coudes sur la table, devant l’apéritif! » Colette décline l’invitation. « Tu es, je le répète, parfaite: je ne voyagerai pas avec toi. » Elle lui laisse l’espace. Elle garde les bois, le ruisseau, les digitales roses, l’odeur du pin… « Tout cela est à moi, et le silence agreste, varié, accessible, que tu n’entends pas, puisque rien ne t’arrête sur la route, toi qui fonces à travers la vapeur du fournil brûlant, qui troues le vol des papillons… »

*Chantal Thomas, Comment supporter sa liberté, Payot, 1998.
**Colette, Œuvres complètes, t. II, Le Voyage égoïste, Paris, R. Laffont, 1997.

Illustration: Offre de voyage pour le Brésil sur le site vente-privée.com (tourisme « responsable et solidaire »?!).

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Patrick Corneau