farlferli7Ce petit texte (18 pages) est ce que j’ai lu de  plus poétiquement juste sur le métro. Il faut être un authentique poète pour extraire de ce lieu infernal quelques gouttes (larmes?) de pure beauté et matière à penser.

« Rien de plus avantageux, ni de plus usurpé, que le terme de ‘voyageurs’ utilisé par la RATP pour désigner ses usagers. Ne nous déplaçons-nous pas en aveugles sur des distances homéopathiques? Et la SNCF ne nous décerne-t-elle pas le même titre quand nous parcourons le paysage à plus de deux cents kilomètres-heure, dans des wagons insonorisés et capitonnés de velours?
Il faut pourtant se demander si une dimension, occultée partout ailleurs par la magie du voyage, n’en demeure pas moins active dans les sous-sols parisiens. Mais que reste-t-il de l’idée de voyage quand on ôte le dépaysement, sa promesse implicite, le zeste d’héroïsme lié à la distance (car nous laissons, tout de même, l’essentiel derrière nous), le mirage de la destination, l’attrait du paysage, et jusqu’au désir de partir?
À l’exception du temps du voyage lui-même, il faut bien reconnaître qu’il ne reste rien. Et, en l’occurrence, il s’agit de temps mort. Cependant, la conscience que nous en avons n’est-elle pas la perception la plus aiguë que nous puissions avoir du temps tout court?
Dans le métro, et pour un gain presque toujours nul tant nos déplacements sont routiniers, c’est bien notre vie qui semble nous glisser entre les doigts. Faut-il chercher d’autres raisons à la gravité et à l’attention, toujours un peu crispées, des voyageurs? »
Marcel Cohen, Le grand paon-de-nuit suivi de Murs suivi de Métro, Gallimard, 2014.

Illustration: photographie farl/Flickr.

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Patrick Corneau