ErnestLavisse« J’ai remarqué que beaucoup de jeunes historiens, désormais, et qui peuvent être fort savants dans leur domaine, n’avaient pas la moindre idée de l’histoire des styles, qu’il s’agisse d’architecture, de peinture, de musique mais d’abord et surtout de costume et d’administration physique des individus, des visages. Ils considèrent que c’est une spécialité comme une autre, et si ce n’est pas la leur ils n’ont pas à s’en occuper. La grande déculturation et l’effondrement de la structure chronologique du passé font que le public serait bien en peine de remarquer l’aplatissement total de l’apparence des siècles qui résulte de cet état de choses, et de s’en plaindre. Non, ça ne trouble personne.
(…) Comme le disait ma pauvre mère, comment voulez-vous élever des enfants dans ces conditions? Le passé est un présent comme un autre — un peu plus long, peut-être, mais même ce trait-là pourrait bien finir par lui être enlevé. Jadis c’était l’histoire et la culture des autres peuples qui subissaient cet aplatissement que je dis — moi-même, par exemple, je suis assez infichu de dater une gravure japonaise ou un temple maya à deux ou trois siècles près. Mais à présent (cas de le dire…), c’est son propre passé que l’Occident écrase sur lui-même. Non seulement, comme on l’a souvent remarqué, les lycéens ne savent plus très bien ce qui vient en premier, de Jeanne d’Arc ou de Napoléon, mais la plupart ne seraient nullement étonnés de voir des chevaliers en armure et des femmes à hennin assister paisiblement au sacre de l’empereur, à Notre-Dame. Et quand je dis les lycéens… »
Renaud Camus, NON, Journal 2013, (2014)

hmorganlettrine2Remarque tout à fait extensible – hélas – aux jeunes journalistes, jeunes critiques d’art, de cinéma, de littérature…
[Un mien ami, fidèle lecteur de ce blog, me fait remarquer qu’il y a quelque témérité à lire, voire citer Renaud Camus. « Tu vas te faire ostraciser comme pestiféré! Étiqueter comme réac nauséabond! » s’inquiète-t-il. Sans doute, sans doute… Mais les odeurs aussi entêtantes soient-elle ne sont jamais que dans la tête de ceux qu’elles obsèdent.]

Illustration: Histoire de France de Ernest Lavisse (1842-1922), Armand Colin.

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Patrick Corneau