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« Paris en hiver, c’est la ville pour misogynes, misanthropes et pessimistes, pour étudiants en histoire qui croient que toute l’affaire est une longue course descendante, pour tous les amoureux de la race humaine prêts à secouer la tête devant l’ingratitude des hommes, à déplorer le lâche oubli du monde et à mesurer la vanité des succès humains. Paris est une ville parsemée de monuments, et ses rues portent les noms de grands hommes défunts, mais qui saurait dire ce que fit le général Rochambeau à la bataille de Yorktown pour lui permettre de porter une épée de bronze devant le garage Fiat de la rue de Chaillot? Qui fredonne une rengaine d’Ambroise Thomas en cherchant une place pour garer sa voiture dans la rue qui porte le nom du compositeur? Qui lève la tête vers le ciel vaporeux et y voit de nobles ailes et y entend le vrombissement des vaillants vieux moteurs lorsqu’il se rend en pataugeant dans la pluie vers un bar à expressos de la rue Jean-Mermoz? Qui se trouve guéri de quoi que ce soit aujourd’hui rue du Docteur-Victor-Hutinel? Est-ce que quelqu’un récite « Sur le printemps de ma jeunesse folle, je ressemblais à l’hirondelle qui vole de çà de là » en se faisant couper les cheveux rue Clément-Marot? Où sont les descendants de Pierre Ier de Serbie? Où est la Serbie? Qui, en se rendant au musée d’Art moderne, avenue du Président-Wilson, peut dire honnêtement avoir fait honneur aux 14 points du Président?ronaldsearle2
Paris est constamment comparée à une belle femme, et si la comparaison est juste, Paris en hiver est alors une belle femme rentrée depuis deux semaines de vacances au soleil et qui a perdu son hâle et se trouve maintenant au stade malsain et jaunâtre qui fait ressembler les suites de vacances à des débuts de jaunisse. Si Paris est belle et féminine au printemps et en été, lorsque les 295 000 arbres de la ville sont en plein feuillage, c’est la beauté d’une belle vieille dame artistiquement drapée dans une chatoyante écharpe verte dissimulant les rides. L’hiver laisse à nu les os de la ville, et la vieille dame montre son âge.
Voilà les pensées de janvier, à Paris. »
Paris! Paris!, Irwin Shaw & Ronald Searle, Plon, 1977.

ferli4Ce merveilleux petit livre (hélas, introuvable) admirablement illustré par le baroque Ronald Searle nous livre le Paris des années 70, un Paris sous Giscard, avec pattes d’eph, mini-jupes, chevelus, cigarettes, képis et 2CV… Déjà  bien lointain…

Illustration: dessin de Ronald Searle.

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Patrick Corneau