Vous vous êtes résolu à savoir ce qui se passerait en vous sans elle. Ce qui se jouerait en interne sans cette chose sous tension dans votre poche, sonnante et vibrante. Vous l’avez jetée au fond d’un fossé, dans un puits, dans une bouche d’égout, dans le regard d’une cave. Et de sortir de chez vous à présent qu’un sentiment de désenvoûtement vous gagne. Vous voilà dans la bizarrerie ne n’être plus à attendre quelque chose et peut-être le léger malaise de n’être pas joignable pour quiconque. Et d’ignorer désormais ce qui se passe actuellement dans l’invisible sous le dôme électromagnétique des flux de données, d’être livré à vos seules ressources de pensées, dans une curieuse solitude à marcher dans le tourbillon humain des rues, vos terminaisons nerveuses comme dénudées de leurs prothèses d’accès, dans un pays tout inconnu, dessous les variations complexes d’un vieux ciel d’hiver, d’avant le dôme quand tous vivaient dans le monde commun. Il se pourrait alors dans ce grand dehors retrouvé que se dissipe ce halo de déficit attentionnel qui voilait votre présence au monde, le décolorait, l´appauvrissait, que la réceptivité d’organe renoue avec les choses, qu’affluent des sensations confuses, des réminiscences, des pressentiments, que s’ouvrent les perspectives d’un monde plus vaste et sophistiqué, où le temps et l’étendue sont plus profonds et le sentiment de l’existence immensément augmenté, un monde qui s’offre à vous avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse de couleurs admirable, plein de clartés nouvelles, où il semble que l’âme participe à l’existence universelle.
Êtes-vous prêt au choc du grand air? Êtes-vous prêt à rompre la sujétion avec ce qui n’est pas là?
J’emprunte ici et extravague les élucubrations* de Baudouin de Bodinat dans Fario 13, s’agissant de sa tentative d’application du « Principe de Chesterton » (Tant qu’on n’a pas imaginé qu’une chose pourrait ne pas être, on ne sait pas ce qu’elle est) aux smartphones, tablettes et autres outils de connexion.
*Elucubrations ici selon le sens qu’en donne Philippe Jaccottet (Tache de soleil, ou d’ombre): « Travaux accomplis à la lueur de la lampe, souvent entendus comme laborieux, sinon extravagants; quoi qu’il en soit, accomplis pendant les heures nocturnes, dans les ténèbres et contre les ténèbres; dans ce cas-ci, avant qu’elles ne l’emportent définitivement, sans que l’on puisse mesurer quelle avance on garde encore sur elles. »
Illustration: « Adrift » (1982) d’Andrew Wyeth, 1917-2009.
Le silence éternel de vos espaces infinis m’attire.
Welcome! 🙂