ferliprotsLe « vieux con » c’est toujours l’autre. Grâce à l’humour sagace de Jean-Marie Laclavetine ce repoussoir de notre auto-estime accède au prestige d’une catégorie sociologique (et peut-être même métaphysique) qui sommeillerait tapie au fond de tous (et aussi de toutes). Un Petit éloge du Vieux Con qui vexe salubrement nos résistances narcissiques (comme aurait Freud)! Extraits.
« Devenir un vieux con n’est pas à la portée du premier idiot venu. Il y faut de la patience, et une forme rare d’abnégation qui consiste à renier ce qu’il y eut en soi jadis de plus séduisant, de plus joyeux, de plus vivant, quand une aube permanente se levait, quand un sang toujours neuf battait aux tempes et aux yeux, quand on n’avait pas peur de se dresser contre l’ancien monde, avec la conviction qu’il ne tarderait pas à craquer sous nos coups.
(…) On reconnaît le vieux con, quel que soit son âge, au ton de dépit courroucé qu’il emploie pour parler du reste du monde en général, et de ses successeurs en particulier. N’est-il pas merveilleux, cet entêtement de la nature à rabâcher indéfiniment les mêmes archétypes d’une génération sur l’autre? Le jeune Cro-Magnon poussa sans doute des soupirs d’exaspération devant la rigidité rétrograde de son père hostile à l’invention de la roue et du feu (qui allaient à coup sûr rendre les hommes paresseux et stupides) ; le même Cro-Magnon, devenu vieux, dut contempler avec écœurement ses enfants qui se prélassaient devant l’âtre en racontant des blagues au lieu d’utiliser sans attendre cette arme de haute technologie pour étendre l’empire de la civilisation et démocratiser les tribus voisines.
(…) Certains d’entre vous jugeront à coup sûr abusif un tel éloge, et tiendront que le monde pourrait sans dommage se passer des vieux cons. Ils auront tort. Sous toutes les latitudes et à toutes les époques, le vieux con est indispensable à la formation de la jeunesse. Sans lui, le monde s’amollirait dans un nirvana d’intelligence quiète et de concorde universelle: une catastrophe d’ennui, d’immobilisme, et une promesse à long terme d’assoupissement et d’avilissement de l’espèce. Sans lui, pas de Galilée, pas d’Einstein, pas de Jeanne d’Arc ni de Louise Labbé, pas de Mozart ni de Rabelais. Car c’est de lui que viennent directement les grandes œuvres de l’esprit. Seul le mur intraitable de la connerie permet à la pensée et au talent de rebondir et de se renforcer. »
Jean-Marie Laclavetine, « Petit éloge du Vieux Con », Petit éloge du temps présent,  Folio 2.

Inutile de vous dire de vous précipiter sur ce mince livre (à 2€) qui, contrairement à ce que suggère son titre, est plutôt une suite de petits autels secrets voués à ce qui n’est plus (je recommande particulièrement l’avant-dernier chapitre « Petit éloge de Sam, Robert et quelques oiseaux… », hymne à la littérature, la vraie, pas celle qui se repaît des remugles de panières à linge sale).

Illustration: Pour ne pas créer de susceptibilités jalouses, nous laisserons à chacun la possibilité d’illustrer virtuellement, imaginairement ce billet du « vieux con » de son choix.

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Patrick Corneau