heimat
hmorganlettrine2Il était difficile de ne pas parler ici de ce film colossal noblement mélancolique qu’est le Heimat d’Edgard Reitz. Un diptyque en noir & blanc non manichéen, plein de nuances de gris (au propre et au figuré) d’une grande humanité. Humaniste même, car ce dont il s’agit relève de l’humaine condition: si nous naissons quelque part, nous sommes tous des déplacés, en partance pour, en transit, et quand nous avons atteint le port, nous regrettons les lieux quittés, nous éprouvons cette chose aussi intraduisible que la saudade: le sehnsucht, la nostalgie mêlée d’ardeur pour le Heimat, autre mot intraduisible: la terre natale, l’endroit d’où l’on vient, le lieu où l’on se sent chez soi. Le film ne cesse d’évoquer le fait de partir, de dire adieu, de rompre avec ces liens forts que sont les parents, les amis, les paysages, la culture… Cette rupture est aussi douloureuse pour Lena, la sœur aînée de Jakob (le cadet rêveur, passionné par le Nouveau Monde), qui a quitté le village familial de Schabbach pour rejoindre son mari à quelques kilomètres dans la vallée de la Moselle que pour son frère Gustav et sa femme d’émigrer au Brésil, « là où les roses fleurissent en hiver ». Et même la mère, vieillissante et malade, voudrait avant de mourir « voler », non pas pour rejoindre ses enfants – nouveaux colons à Porto Alegre (sud du Brésil), mais pour revoir le village de son enfance dans le Hunsrück, son Heimat.

Aujourd’hui alors que les nations d’Europe se replient frileusement dans la peur de l’autre, de l’immigrant, il est bon qu’une grande œuvre nous rappelle qu’émigrer est avant tout un arrachement douloureux, réclame une force dont tous ne sont pas capables, et que c’est cette énergie vitale qui a fécondé* les civilisations dans leurs échanges au cours de l’histoire.

* Comme dans le film, une comète est venue nous rappeler récemment que nous sommes de la poussière d’étoiles, et que notre plus commun Heimat est la seule Terre (ce que cherche à démontrer Gravity).

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Illustrations: Photographie et bande annonce de Heimat II : L’Exode. © Edgar Reitz Filmproduktion München

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Patrick Corneau