Freud l’a dit: la culture engendre la névrose.
L’homme en question est un cas clinique dont j’avais entendu parler dans une conversation. Je l’imagine chauve, les sourcils froncés, les yeux humides et brillants, une robe de chambre en flanelle sur un pyjama à rayures. Son dilemme a lieu chaque soir, vers onze heures. Avant de se coucher, il va dans la salle de bains pour se laver les mains. Il se savonne avec vigueur, longuement, en faisant beaucoup de mousse, comme le font les dentistes, jusqu’à ce qu’il sente ses mains parfaitement propres. Puis il les rince, longuement aussi, sous le jet vigoureux et frais. Ensuite, il égoutte ses mains et ferme le robinet. Mais… un instant! Ses mains sont propres mais pas le robinet. Il peut y avoir des microbes dessus. Oui! Le robinet était sale, il y avait des microbes dessus, des milliers de microbes, que ses propres mains, sales quand il l’avait ouvert, avaient déposés.
L’homme chauve, est là, devant le miroir de sa salle de bains. Ses mains, propres, se sont salies à nouveau. Elles se sont à nouveau peuplées de microbes membraneux et visqueux. Résigné, il ouvre à nouveau le robinet, prend fébrilement le savon et lave minutieusement le mélangeur, puis le col, ensuite le lavabo entier, et enfin il se savonne avec vigueur, longuement, en faisant beaucoup de mousse, comme le font les dentistes, jusqu’à ce qu’il sente ses mains parfaitement propres. Il les rince, ferme le robinet resplendissant. Il se sèche avec une serviette propre, et sort de la salle de bains en tirant la porte derrière lui. Mais… un instant! La poignée de la porte… ses mains sales, en entrant dans la salle de bains, ne l’avaient-elles pas touchée?

Cette situation incongrue suscite ma perplexité, et savoir que le dilemme se répète soir après soir excite mon imagination. Je crois même voir cet homme atteint de « trouble obsessivo-compulsif » ou TOC commencer à délirer complètement, poursuivi par de minuscules microbes, à trompes, squameux et imaginaires, il nettoie toujours davantage d’objets, de pièces de l’appartement car le dieu Propreté est manichéen, il ne tolère pas la demi-mesure – c’est TOUT ou rien… Je pressens dans son dilemme névrotique un véritable drame littéraire.
L’anecdote la plus triviale amène le surprenant éventail du possible. Parce qu’ils compliquent le problème humain, les déséquilibres, quelle que soit leur nature, seront toujours propices à la littérature. Ainsi de temps en temps, dans des cas heureux, nos névroses parviennent à créer de la culture.

[Je n’ai pas de TOC inavouable, ne fétichise pas (excepté les livres et quelques thèmes privés, mais c’est une autre histoire), néanmoins pour la délicate odeur de rose laissée sur la peau par un savon brésilien Phebo, je serais capable de traverser l’Atlantique…]

Illustration: flickr Hukes’photostream

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Patrick Corneau