Introuvable depuis de nombreuses années, Second manifeste camp de Patrick Mauriès vient d’être réédité chez l’éditeur singulier. Ce livre écrit sous la double et paradoxale invocation d’Andy Warhol et de Roland Barthes en 1979 (Éditions du Seuil, coll. « Fiction & Cie ») se voulait une réponse à un article sur le « camp » que Susan Sontag avait publié en 1964. Le mot « camp » est un terme ironique probablement emprunté à l’argot théâtral des milieux homosexuels. De cette sorte de dandysme post-moderne, Sontag ne donnait pas de définitions, ou plutôt elle en donnait plusieurs, évoluant entre mauvais goût, farce, plaisir de l’exagération, définissant le « camp » avant tout comme une attitude esthétique qui « ne s’exprime pas en termes de beauté, mais en termes de degré d’artifice et de stylisation » (Notes on Camp…). Le « camp » de Mauriès n’est pas celui de Sontag. Il s’agit bien d’excès dans les deux cas, mais celui de Sontag porte vers l’extravagance, l’excès de folie, c’est le dandysme de Wilde; celui de Mauriès serait un excès de retenue, une certaine austérité, c’est le dandysme de Barthes. Il y aurait un « camp » de l’ajout et un « camp » de l’effacement. L’attitude d’un Wilde relèverait d’un léger mépris, du rire devant l’inévitable, celle d’un Barthes de l’effacement, du refus d’insister — non sans tenter dans les deux cas de sauver par l’écriture ce qu’il serait possible de sauver.
Aujourd’hui un tel ouvrage, ne serait-ce que par les références qu’il donne (largement oubliées aujourd’hui) est un véritable OVNI littéraire qui permet, néanmoins, de saisir l’esprit d’un moment: les insouciantes années 70 où régnaient « l’effervescence théorique et la prééminence de la pensée critique » comme le souligne Mauriès. L’époque était à la « théorie littéraire » et le « lettreux » que j’étais alors, se souvient que nous dévorions furieusement ce qu’il y avait de plus abscons en la matière (le « premier » Barthes, Ricardou, Genette, Pleynet, Tel Quel et les revues Poétique, Communications), et tels des perroquets nous recyclions dans nos copies d’examen les miettes indigestes tombées de ces agapes conceptuelles (structuralisme, linguistique, stylistique et tutti quanti). Pour nous délasser nous lisions Robbe-Grillet, Butor ou Sarraute (pour ma part, je me délectais de Cioran dans la NRF – en cachette, bien sûr, car l’université était marxisante et Emil n’était pas en odeur de sainteté).
Évoquant la réception de son ouvrage, Patrick Mauriès livre en passant un détail qui en dit long sur les mentalités et le fonds des personnalités qui battaient haut le pavé intellectuel de l’époque: « L’hommage n’eut pas l’heur de plaire à sa destinataire qui se révéla, à mon grand dam, n’avoir guère le sens du second degré et me battit froid lors d’une lecture où elle s’étendit à loisir sur l’état calamiteux des toilettes des cafés parisiens ».
Sic transit gloria intelligentiae…

Illustration: Éditions du Seuil.

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Patrick Corneau