« Parce que pour ma part, je ne suis attirée en littérature que par ce que tout d’abord, je n’arrive pas à comprendre. John Cage, parlant de ses lectures d’enfant, disait qu’il avait un moyen très simple de savoir si quelque chose lui plaisait ou pas: il aimait ce qu’il ne comprenait pas. S’il comprenait, déçu, il renonçait. Je crois que nous perdons le goût et la passion de nous aventurer dans l’incompréhensible, de nous aventurer dans tout ce qui est pour nous déconcertant, différent, dissident, étrange, étranger, excentrique. Comme disait Proust, les livres que nous aimons semblent avoir été écrits dans une langue étrangère… » Dixit Susan Strand « citée » par Enrique Vila-Matas dans Chet Baker pense à son art (traduit de l’espagnol par André Gabastou, Ed. Mercure de France, coll. « Traits et portraits »).
Un essai inclassable en forme d’autoportrait (ou peut-être l’inverse) sur la lecture, la littérature et particulièrement le roman contemporain qui, selon Enrique Vila-Matas, est engagé sur deux voies opposées: d’un côté, « la voie Hire », ainsi nommée d’après le livre de Simenon Les Fiançailles de M. Hire, avatar du roman réaliste et, de l’autre, « la voie Finnegans », le roman de Joyce étant l’incarnation d’une littérature en quête d’une forme permettant de traduire la réalité non narrative des choses, le cœur de l’expérience humaine. Le compréhensible (Simenon) rassure mais peut aussi ennuyer, l’incompréhensible (Joyce) stimule, fascine et nous porte dans les parages de l’indicible… L’un et l’autre, également frustrants.
Illustration: partition de John Cage
Il existe aussi d’autres voies: par exemple saturer la langue de sens et, par là, la forcer à dire plus qu’elle ne dit habituellement. C’est comme si la langue avait alors une chambre d’écho. Ou comme si le texte renvoyait à une incroyable profondeur de champ. Ce genre d’écrits appelle toujours à une nouvelle lecture bien que rien ne soit incompréhensible dès la première fois.
j’ai revu hier soir « voyage en Italie » de Rossellini. et je crois que ce film parle exactement de cela. Ce couple de bourgeois en voyage a Naples, se trouve plongé dans un monde où ils perdent leurs repères et du coup se retrouve face à eux-mêmes et au vide de leur vie, et à l’inconsistance de leur couple. deux Étrangers. Le film lui-même perturbe nos habitudes de spectateur… (à l’époque en tout cas, il n’a pas été compris). De quoi parle ce film exactement ? on peut le voir et le revoir, on peut l’analyser, le décortiqué autant qu’on veut, jamais on en épuisera le sens. Quelque chose est dit au-delà même de la compréhension : il nous demande de lâcher nos repères intellectuels et de sentir, ressentir, et surtout de se perdre : il est là le plaisir de spectateur pour moi.
Merci pour votre commentaire et votre analyse du film de Rossellini.
Il y a la visite à Pompéi.
Et puis il y a Elle devant ce couple pétrifié, surpris par la lave.
Étrangement la voix banalement off du guide nous convertit en matière pierreuse.
La réalité non narrative des choses.
Merci pour ce très chouette billet!