On connaît Adolfo Bioy Casares comme le maître de l’imagination (de « l’imagination raisonnée », selon la formule de Jorge Luis Borges) et du fantastique contemporain mais moins pour son autre passion, celle des voyages. La publication au cours des années quatre-vingt-dix d’une partie de son journal de voyage extrait de son interminable Journal intime (presque vingt mille pages) a permis de découvrir un Bioy Casares diariste, épistolier, prati­quant la solitude et le tourisme comme des arts, jouissant et se désespérant de l’éloignement, du dépaysement. Quelques jours au Brésil raconte sa participation à un congrès du Pen Club à Rio de Janeiro, en 1960, et ce petit livre initialement publié à trois cents exemplaires est une pure merveille.
D’une part pour l’intrigue amoureuse qui le sous-tend, créant une sorte de suspense érotique (avec un coup de théâtre final renversant) et, d’autre part, pour les remarques aussi perfides que cruellement justes que Bioy Casares s’autorise sur le Brésil et ses habitants. On sait le contentieux séculaire qui sépare les Argentins des Brésiliens, le mélange de haine et d’envie des portègnes pour les richesses naturelles, l’insolente réussite économique de leur puissant voisin. Comme Adolfo Bioy Casares est un homme bien élevé, il règle ses comptes indirectement et s’arrange pour faire dire les pires horreurs à des tiers, des compagnons de voyage ou de congrès. Tout cela avec un humour distancié car, au fond, rien ne lui convient dans ces huit jours ennuyeux malgré les rares rencontres amicales (Moravia, Elsa Morante, Graham Greene, Roger Caillois) et la continuelle attente d’une bonne fortune. Comme le dit si bien Michel Lafon dans sa présentation de l’édition française: « Sensation d’une fuite perpétuelle, d’un insupportable et incom­préhensible (et pourtant souhaitable) déplace­ment: depuis la première minute, Bioy ne sait pas pourquoi il a accepté l’invitation, il n’a rien à dire aux autres invités, il refuse les amitiés obligées et les figures imposées, hait la rhétorique creuse, ne veut pas parler en public (il est « un écrivain par écrit »!), multiplie les actes manqués, ne parvient – à sa totale stupéfaction – à séduire aucune femme ni à intéresser vraiment – ici, en revanche, nulle surprise pour lui – aucune étoile internationale de la littérature. A peine arrive-t-il quelque part dans le monde qu’il commence à se demander pourquoi il n’a pas préféré « ne pas le faire » et rester chez lui. »
La réunion littéraire comme comble de l’irréalité, comme triste piège à vanités: d’autres écrivains en feront un thème à part entière.
En fin de compte, et c’est ce qui fait le charme envoutant de ce petit livre, Bioy Casares semble toujours se tenir à côté de son œuvre, en dehors d’elle, dans l’au-delà décevant et ironique — ou légèrement nostalgique — de ses indépassables chefs-d’œuvre de jeunesse ou de première maturité (L’Invention de Morel, La Trame céleste, Le Songe des héros, Dormir au soleil).
On retiendra aussi dans ce court récit la spectaculaire visite d’une Brasilia en construction (avec un cahier de photographies, autre grande passion de l’écrivain), réalité plus fantastique par bien des aspects que les « inventions » du maître.

[Pour les lecteurs lusophones: le compte-rendu d’O Globo.]

Illustration: Éditions Christian Bourgois.

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Patrick Corneau