Un shôgun, entendant parler d’un grand moine zen qui réalisait des prodiges et possédait une connaissance universelle, décida de le rencontrer. « Qu’est-ce que l’enfer et qu’est-ce que le paradis? » demanda le shôgun.
Le moine zen le regarda fixement et se mit soudain à l’insulter. Impassible, le shôgun écouta les injures. Mais, comme celles-ci devenaient de plus en plus précises et offensantes, la colère l’étreignit. II tira son sabre du fourreau et s’avança menaçant vers le moine qui recula jusqu’au mur sans cesser de cracher des injures. Le shôgun, hors de lui, leva le sabre, décidé à frapper. Alors, le moine lui saisit le coude et s’écria: « Ça, c’est l’enfer! » Le shôgun hésita un instant et suspendit son coup. « Ça, c’est le paradis! », conclut le moine*.
La manière dont ce moine « transmet » me fait penser à Simon Leys, un de ces esprits libres qui ont su devenir (et rester) à la fois indépendants et profondément attachants. Au lieu de chercher à comprendre comment un homme peut devenir un mouton, se soumettre, s’affilier aux idées reçues et au conformisme bêlant de la “rectitude” politico-morale, il vaudrait mieux chercher à comprendre, méditer la manière, la méthode (si elle existe) des rares sages qui, comme lui, savent partager leurs curiosités et leurs admirations, leurs enthousiasmes et leurs indignations. Son dernier livre Le Studio de l’inutilité (Flammarion, 2012) est une ode au savoir « inutile » (« Les gens comprennent tous l’utilité de ce qui est utile, mais ils ignorent l’utilité de l’inutile. » Zhuang Zi) et à la quête désintéressée de la vérité. Il nous pousse vers le haut. Rare.
*apologue zen cité par Roland Jaccard dans La Tentation nihiliste.
Illustration: Editions Flammarion
Le paradis = se rendre compte qu’on est en enfer ?
Je n’en crois pas un mot !
Le paradis = se retenir de faire le mal ?
Bof.
Le paradis = hésiter ?
Mouais.
Le paradis = suspendre tout action !
Là je dis oui !