« Les intempéries sont mes garde-fous. Je me régale devant les averses, j’adule les tempêtes, le diluvien, les bourrasques, la grêle qui gicle sur les chaussées et les toits. Dès que l’orage éclate, je rêve de voir les gouttes inonder les rues, je les encourage à noyer la ville sous un bouclier liquide. J’ai un faible pour la bise importée du pôle Nord, les gants fourrés, les bottes à crampons, les pelisses doublées, l’attirail des grands froids qui obligent à colmater les issues. L’hermétique est mon allié. On n’a plus à subir l’intrusion des bruyants, ils se cloîtrent chez eux. Les défoulements de la nature protègent du bruit des autres, de leur sans-gêne impudent. Malgré moi, j’en veux aux ouvriers, leurs travaux nous tourneboulent et leurs horaires commandent aux nôtres. Leurs tâches sont ingrates, mon animosité à leur égard m’embarrasse, mais ils figurent – force est de l’admettre – aux avant-postes des bruyants. Qu’y peuvent-ils? Il faut bien que les travaux se réalisent. Oui. Néanmoins, pour atténuer le dommage, il suffirait d’un zeste de politesse. D’un protocole de courtoisie: prévenir les résidents et riverains, s’excuser du désordre, s’arranger pour les horaires, fixer une durée. Prendre en considération l’intérêt de tous. Une sorte de contrat moral entre gens civilisés. Ne pas imposer sa loi. Ne pas décider unilatéralement du début et de la fin du chambard, de ses interruptions, de ses reprises.
Reconnaître la nuisance, c’est déjà l’amoindrir. Ou mieux encore: en négocier les modalités, a fortiori quand on bricole. Mais ils n’ont cure de ce principe, les bruyants. Ils s’accordent tous les droits. Personne ne les convie, ils entrent quand même. Les voleurs de silence, les termites du cerveau, les envahisseurs bardés de pétulance avec leur panoplie d’excrétions sonores. Ils sont interchangeables, omnipotents, les bruyants, ces soudards qui nous exproprient, qui nous exilent de nous-mêmes. » extrait de Petit éloge des amoureux du silence, Jean-Michel Delacomptée, Folio 2€, Gallimard, 2011.
Réquisitoire contre les « bruyants » qui laisse cois (c’est le cas de le dire), ce petit livre indispensable, salutaire et salubre – au point qu’il devrait être non pas remboursé mais offert par la Sécurité Sociale – est à jeter dans la boîte aux lettres de vos voisins (et, peut-être aussi, de votre maire, du professeur de vos enfants, etc.).
« Le bruit se tient aux antipodes du Verbe. Inarticulé, inintelligible, impersonnel, informe, né de personne – en quoi il s’accorde avec la folle rumeur, avec le lynchage, avec la fureur insensée -, extrinsèque au langage, borborygme expectoré par l’idiot shakespearien, il annule l’humanité. »
Je dédie ce billet aux amoureux du silence et à ceux de mes lecteurs qui ont l’ouïe fine, handicap lourd à porter en société MP3.
Illustration: Pablo Abreu pour Quies / Folio Gallimard
Je biche…. 🙂
Bonjour,
Un petite coquille ? : » Es s’accordent tous les droits. »
J’espère ne pas avoir trop fait de bruit, car même en écrivant, ce qu’on écrit peut être considéré comme du bruit aux oreilles de ceux de qui on est alors incompris…
Si vous saviez comme j’essaie pourtant de marcher sur la pointe de mes pensées, pour certains néanmoins, j’écris du bruit ( elle se reconnaitra 😉 )… ( En espérant que ça ne soit pas votre cas. )
Bien à vous.
Ahaha, je réside dans une ville où les bruyants ont pignon sur rue, où les nuisants règnent en maîtres et chient dessus sur les silencieux, droits dans leurs bottes et leur droit.
Ivrognes et drogués gueulards, jeunes éperdus de distraction, ouvriers brutaux, commerciaux bavards, animaliers sans scrupules, voisins bourrus, voitures, voitures, voitures, motos, …
oh, Liège !
Il faudrait que les silencieux le soient plus agressivement pour cesser d’être piétinés constamment par les bruyants… Quelle engeance bon sang, quelle engeance !
dans les ardennes françaises, les filles de liège sont pourtant bien connues de par leur légendaire sens de l’accueil