« Avempace (de  son vrai nom: Abu Bakr Mohammed Ibn Yahya Ibn al-Say’gh Ibn Tujibi Ibn Bajja) pensait, comme Platon, qu’une cité par­faite est possible, mais généralement les hommes vivent dans des cités imparfaites. La ligne de conduite la plus juste dans une cité imparfaite est celle du citoyen qui se tient à l’écart puisque ses opinions ne concordent pas avec celles de la communauté. Avempace appelait cet homme ‘le solitaire’, les mystiques soufis disaient ‘l’étranger’. Bien que vivant sur son sol natal, parmi ses amis et ses compa­triotes, il reste en effet un étranger car il a voyagé en esprit vers d’autres dimensions du réel qui sont devenues son véritable pays d’origine. Toutefois, selon Avempace, le terme utilisé par les soufis pour désigner cette sorte d’homme est inadéquat, car ils déprécient le rôle de l’intellect et transforment la faculté la plus noble en quelque chose qui existe en vain. Selon Avempace, il n’y a pas de mot approprié pour qualifier celui qui se comporte avec droiture et pense avec justesse dans une cité imparfaite, prônant des opinions contraires à celles communément admises. Avempace proposa d’appeler ces solitaires nawabit (« plantes ») en référence aux herbes sau­vages qui poussent sur une terre cultivée. La pré­sence de ces éléments indomptés corrompt la cité parfaite, mais contribue à l’amélioration de la cité imparfaite et lui permet de progresser. »

« Avempace » in Portraits exquis, Silvia Ronchey, traduit de l’italien par Ida Marsiglio, Arléa, 2011.

Illustration: Giorgione, « Les trois philosophes » (1509) – Avempace est le personnage au turban blanc – Vienne, Kunsthistoriches Museum.

  1. gmc says:

    La pré­sence de ces éléments indomptés corrompt la cité parfaite, mais contribue à l’amélioration de la cité imparfaite et lui permet de progresser. »

    illusion ou voeu pieux de celui qui a fait allégeance à une cité supposée imparfaite.

    toute société est immorale (l’occident actuel en est un très édifiant exemple), l’univers est amoral, pourquoi le monde devrait-il s’employer en vain alors que rien ne change hormis les apparences?
    quand on exerce une force sur un pendule, on met en branle une force opposée de même puissance…….

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Patrick Corneau