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« Je n’ai jamais pensé à la Bretagne qu’avec pas­sion. J’y ai pensé comme on pense à une femme extrêmement désirable, mais mortelle si l’on y touche. Car la Bretagne n’est que ce qu’elle est. L’artiste, genre Stendhal, n’y trouvera aucune Scala, aucune fréquentation autre que celle des pierres, du ciel et de la mer. Fréquentation que rien ne remplace, mais écrasante pour qui s’y tient. Toute solitude y est formidablement assis­tée, relayée, réduite à rien, je conçois mal qu’on puisse n’y rien faire, sinon vivre à l’état cadavé­rique, ce qui est malheureusement impossible. Il faut faire quelque chose. Que l’homme ait un jour parlé de vocation, de ‘ce qui nous con­cerne’, c’est assez aberrant. Rien ne concerne l’homme, sinon le mal qu’il se sent capable de faire à son prochain, de se faire à soi-même. »

« Bretagne. Le temps y est plus pré­sent qu’ailleurs, grâce à la pierre, à l’eau, au ciel. Temps plus magique qu’historique, à déourager toutes les météorologies; J’entends souvent dire à la radio, avec quelle autorité, qu’il pleut en Bretagne. Le temps de le dire, et voilà le ciel en toute splendeur. Voilà qui nous ressemble. »

« J’aime trop la rue, la vie dans la rue, pour m’y être éternisé. Ici dans le Finistère, c’est le contraire, on a l’impression d’entrer dans une grande famille. »

« Il y a chez la jeune fille bretonne quelque chose de terriblement vierge et de terriblement putain. Ce n’est pas incompatible. Cette combinaison de grâce marine et de pudeur provocante laisse l’homme dans un état rien moins que rêveur. L’air est soudain chargé d’érotisme élémentaire. L’odeur nauséabonde du port, mariée à celle, exaltante, qui vient du large, décrète je ne sais quelle confrontation entre le bien et le mal vus d’ici, qui doit, toute affaire cessante, s’épanouir en beauté. Deux corps ensemble, dans le flux et le reflux de l’amour, oui, cela doit vouloir dire que la vie est éternelle quoique précaire en chacun. Que la mer et le ciel, retiennent ces gestes désordonnés, pour les rendre à l’ordre immuable des choses vivantes. »

« Je n’ai jamais entendu un pêcheur dire qu’il aimait la mer. »

« Mer. Toi qui baves comme une vache en furie. Féroce qui rumines la bile de tous les hommes ensemble depuis le premier. Qui déposes à nos pieds l’horreur d’être dans toute sa splendeur vindicatrice… »

« La Bretagne fait l’amour avec la mer. Lui fait honneur. Echange douloureux. Difficile. La terre attend la mer, non comme une fin de non-rece­voir – falaises anglaises, Pas de Calais – mais l’une donnant et retirant à l’autre les derniers dés de l’immense jeu. La terre s’emmerre. Trompe l’homme. Provoque l’esprit. La mer est, sur notre, pauvre terre torturée, le monument par excel­lence, l’éternité musclée, l’irrationnel pur, ir­rêvé. »

« Penmarch / Visibilité 6000 / Mer belle. / Vent d’est nord 8 noeuds. / Pression atmosphérique 1033 millibars. /Quel plus beau poème? »

« J’ai un peu vécu aux bords de la mer. Juste assez pour oublier la présence de cette folle que dresse ou calme la lune. Ce que je vais en dire choquera peut-être, ou me fera passer pour romantique. Mais comment nier des certitudes. Je n’ai pu, à partir d’un certain âge, considérer la mer que comme la présence mouvante, ici-bas, de la mort. Sans déborder dans l’euphonie explicative, on peut tout de même remarquer en passant la curieuse déclinaison : l’amour, la mer, la mort. Si j’ai voulu la mer, être non loin de sa féroce rumination, c’est par besoin de me rap­procher, vivant, d’un mal que je sentais sourdre en moi, et pousser celui de la mort qui me tra­vaillait les entrailles. Comment se supporter quand on est rongé.« 

[textes extraits de Papiers collés et d’Echancrures]

Illustration: Tradi deiz 2011/Vannes, photographie de ©cathybreiz/Flickr.

Patrick Corneau