L’immense succès populaire du petit livre de Stéphane Hessel Indignez-vous! (qui désormais dépasse le million d’exemplaires et chemine hors hexagone grâce à des traductions vers l’Espagne, le Portugal, Etats-Unis, Russie, Israël, Estonie, etc.), nous rappelle que la vertu d’indignation n’a pas totalement disparue de nos contrées sous la chappe de la « fatigue compassionnelle », et qu’elle garde même une vigueur exemplairement combattive ailleurs (Maghreb, Egypte…). Ces signes encourageants redonnent toute leur fraîcheur aux propos percutants et singulièrement actuels de Jean Sulivan (1913-1980) sur le courage de « savoir dire non« :
« Je crois déjà reconnaitre une race, celle des forts, qui dit non à l’oppression. Aucun ressentiment chez eux. Une insurrection se gonfle dans les profondeurs, en eux, presque sans eux, contre les automatismes, tout ce qui asservit, englue. Non pas ces colères, luxe des faibles qui savent se consoler avec l’amertume, non pas celle des éternels mécontents, des faux persécutés qui, la tempête passée, se reprennent, cèdent, s’agenouillent et transforment leur esclavage en vertu : plutôt le sentiment inné, par-delà toute idée, tout principe, que l’homme est premier, que la colère née du cœur de la vie est souvent le seul moyen de forcer le chemin de la vérité. […] Il me semble que la vie d’un homme se décide très tôt avec quelques non. »
in Car je t’aime, ô Éternité!, pp. 23-24.
« Le premier imbécile venu peut faire des gosses, manier des paperasses. Mais des types comme toi qui font leur chance, qui ne calent pas, qui savent attendre et s’occuper tous seuls, à mon avis il n’y en a pas beaucoup. Les récalcitrants, les insoumis, les réfractaires, à mon avis : le levain du monde. Les asociaux sont les membres d’une société plus réelle. Il n’y a de société réelle que lorsque deux êtres se rencontrent. Il doit bien y en avoir quelques-uns par ici qui serrent les poings au fond des poches. Comme j’aimerais vous rencontrer dans les forêts, autour des feux et qu’il serait bon que vous ayez un signe à quoi vous reconnaitre. Mais non. Que vous formiez des groupes, des comités, vous ne seriez plus des réfractaires. Il faut demeurer étranger, inconnu, parachuté dans la foule, sans défense, sans pouvoir autre que celui du jugement. Si Dieu revenait, c’est parmi vous qu’il prendrait ses disciples. »
in Bonheur des rebelles, p. 271.
« Un homme qui n’est pas naturellement le reflet d’un clan, que l’avancement ne taraude pas, que ni les résidences secondaires ni les chevaux de course ni les poupées de luxe ne fascinent, qui trouve en lui-même assez de goût à vivre, court lui-même et fait courir à la société un mortel péril. Ayant percé à jour la fausse lucidité du réalisme primaire il devient voyant. À la lecture des mots, des gestes et des événements interprétés selon le code mondain dans lequel tout est mélangé, argent, morale, religion, idéologies de justification, il substitue une autre lecture qui révèle les mécanismes de l’avidité. Cet homme est un rebelle : en idée s’il s’enferme dans l’ironie, le cynisme ou le silence ; en action si certaines circonstances surviennent. Que les poètes et les utopistes délirent dans leur coin, les autres qu’on les boucle. Croire que cela ne se passe qu’au-delà de quelque lointain rideau est de l’aveuglement. »
in Je veux battre le tambour, pp. 238-239.
Ces extraits proviennent de Abécédaire, florilège de textes de J. Sulivan, excellemment conçu et édité par Charles Austin, Gallimard, novembre, 2010.
Illustration: photographie origine inconnue.
ça fait un peu penser au texte d’armel guerne:
« Mais je demande que la médiocrité laisse
Alors la fréquentation des extrêmes
Aux risque-tout qui se lèvent pour aller y voir
Aux va-nu-pieds qui ne possèdent point de fauteuil
Aux crève-la- faim de grand coeur qui se saoulent de n’importe quoi
Plutôt que de manger eux aussi le foin
De cette justice de ruminants à l’étable
Que les professeurs qui ont pour fonction d’enseigner
Ce que les poètes ont pour mission de désapprendre
Laissent donc les poètes se brûler seuls les doigts au feu
Les yeux à la lumière
Et le coeur à l’éternité
Et qu’ils n’accablent plus les malheureux abîmes
Que hantent les grands vents. »
« Il n’est pas de bonheur sans liberté ni de liberté sans courage » Mais à notre époque, la difficulté est d’aller vers celui ou ce qui est radicalement autre, ne serait-ce que pour comprendre. Il faut un minimun de confiance dans l’intérêt de ce que l’on va découvrir, une curiosité et une innocence de son propre regard qui va valider ce qu’on va découvrir l
Ce dont nous mourrons tous d’envie, c’est simplement de rencontrer des êtres, des hommes debout, qui ne savent pas se tenir autrement que debout, qu’il insupporte de se vautrer, d’en trouver là dans ce AU détour d’un rayon dans le supermarché infini, aseptisé, stérile et discipliné de la modernité. Voir une plante s’extraire du terrifiant carrelage, quelque chose de réel jaillir de l’amibe qui endort les âmes et les consciences, quelque chose qui palpite et qui dit « merde, demain nous sommes tous morts, assez de ces soucis d’immortels, il faut vivre bon sang ! »
« Etourdissez-vous, dansez, il ne reste que ça. Zarathoustrez vos
partenaires, les femmes sont légères, portez-les lancez-les, allez
tanguer sur les bords de Marne, frites et tango… les Japonais ont
compris… ils conservent jalousement leurs traditions… prêts à tuer au
cas où… au grand sabre les cambrioleurs… à la reniflette du butin…
toujours faire gaffe… tu fermes un œil tu peux plus l’ouvrir…
vigilants… j’vous aime bien les petits gars… vous êtes pas riches…
déjà un début de pureté… ou de connerie… vous verrez, on viendra vous
proposer du flouze… mais faudra baisser vot’bénouze ! toujours la même
chanson… le fric est plus fort que la guerre… que la force… qui a le
fric peut acheter n’importe qui… grâce au besoin… n’ayez aucun besoin…
ou alors un minimum… comme moi… une caravane… pas de femme, pas de
fric, un rien pour bouffer… et l’écriture… y a pas d’autre salut sur
terre… que le rêve… tout se passe dedans… ne vous laissez jamais
envahir le dedans… la vraie guerre on la voit pas… on en voit juste le
résultat… les victimes… badauds… conauds… qui pensent rien… on leur a
retiré la pensée et ils sont heureux… la pensée c’est la souffrance…
souffrez !
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