Demeurant en Bretagne, j’ai une vue imprenable sur une succession de vagues. D’aucuns pourraient m’envier. Ils auraient tort. Il s’agit de vagues de toits! Oui, des toits en bonnes et dures ardoises, comme il convient ici. Sous le grand ballet des nuages océaniques, on peut dire qu’il ne se passe rigoureusement RIEN dans ces vagues de toits. Parfois, sur une vague éloignée, un vasistas s’ouvre et la main d’une frêle jeune fille sort, tâte l’atmosphère: bruine normande ou crachin breton? Le vasistas se referme muettement sur un choix opaque chassant le peureux peuple des pigeons qui émigre alors vers une autre vague. Il faut rendre justice à la nature, ici urbaine: les pigeons sont les seuls formes de vie animant quelque peu cette scénographie gris anthracite absolument déprimante. Pourtant, au fil des saisons, outre les sempiternelles mamours (parade – accouplement – nidification) se passent des choses terribles dont je suis le témoin effaré. Ces vagues au beau bleu ardoise sont le théâtre d’une lutte sans merci entre nos pigeons majoritaires (car indécemment prolifiques) et quelques trublions qui, forts de leur légère supériorité dans l’échelle de la prédation, viennent tournebouler la paix des familles. Dans l’ordre: les pies, les corneilles noires, les corbeaux freux et les goélands. Il arrive qu’un matou au pas chaloupé surgisse d’entre les vagues et viennent mettre tout le monde d’accord. Levant les yeux de mon Windows et regardant par ma fenêtre, je pense alors au poète Verlaine qui a chanté la vie « simple et tranquille », « par-dessus le toit, si bleu, si calme ».
Illustration: photographie de Anthony Robson
contemplation de la vie, en somme et en direct