Une dame avec une voix parfaitement lisse, parfois un peu autoritaire (ça dépend de la marque du gépéesse) et une assurance à la limite de l’arrogance, vous guide avec une précision insensée (vous avez au moins 3 satellites au cul!). Ambiance recueillie et concentrée dans l’habitacle, tout le monde se tient à carreau: la technologie PARLE!
Ce que vous perdez. D’abord la vieille carte Michelin à couverture jaune dont l’accordéon ne se replie jamais comme vous voulez, jeu de patience qui vous oblige à lever le pied… Surtout, surtout, des dialogues très enrichissants avec votre co-pilote, en général votre tendre moitiée, dont vous découvrez pour la énième fois qu’elle n’a « décidément » aucun sens de l’orientation, laquelle prend un plaisir malin à vous donner la bonne information mais… trop tard, ce qui fait que vous loupez la bretelle de sortie appropriée, d’où retard pour arriver chez Madame votre belle-mère, engueulade de sa fille, etc. Bref, moments superbes de la vraie vie dans son bruit et sa fureur.
Si, à la suite de cette explication conjugale, on vous retrouve après trois tonneaux dans un champ de luzerne, la dame du GPS sera muette comme une tombe – la carte, bouchonnée, peut-être déchirée et, qui sait, imprégnée des postillons de la colère distillera encore l’odeur âcre du drame. Furieusement bavarde comme une chronique de faits divers. Korzybski avait raison: un GPS n’abolira pas le territoire.
Illustration: Juan Carlos Partidas [« Je vous ai dit de tourner à gauche. Vous êtes sourd ou quoi? »]/Flickr
Cet aboli bibelot a été dérobé à Gérard Davet, journaliste du « Monde », en même temps que son micro portable, dans son domicile du 11e à Paris, situé au rez-de-chaussée.
Il craint que l’on puisse ainsi retracer ses récents déplacements en rapport avec l’affaire Woerth-Bettencourt.
On pourrait découvrir, qui sait, que celle-ci est sa belle-mère.
On oublie un peu trop facilement (en fait, j’oublie trop facilement) que le GPS n’est fait que les contemporains perdus, ceux qui connaissent la géographie des lieux n’en n’ont aucun besoin
Mais quels esprits tristes acceptent, avec un gépéesse, de se priver des rencontres, des témoins qui indiquent trois directions différentes, du charme des écriteaux des départementales et du rêve absolu des chemins vicinaux? J’habite un endroit introuvable. Les tristes qui y arrivent par GPS, sans avoir vu les hameaux dans les vignes et la montée dans la forêt, n’y parviennent pas plus facilement. Je suis au bout d’un chemin de cailloux n’entrant pas dans la petite intelligence des machines…
Rien n’est indiqué, ni la fontaine, ni le grand tilleul, ni l’arrivée dans les bois où un hêtre tend une branche coupée comme doigts de sorcière…