Aperçus sur la vie de Jean S.
Il faut admettre cette idée: il est des hommes dont le naturel talentueux, méritant, courageux est un handicap dans la conduite de la vie.
Jean S. a mal commencé: il est brillant et se trouve être le fils de son père.
Quand il était petit, Jean a joué de malchance: pour sa première communion, il reçut la plus belle Rolex de la collection paternelle. Irrémédiablement frustré d’avoir obtenu avant l’heure ce signe manifeste de réussite sociale, il décida de la donner à Jacques, le mari de Madame Séguéla, la concierge.
Désireux d’acquérir la culture d’un homme bien né, Jean aimait lire les classiques. Un jour qu’il lisait La princesse de Clèves son père la lui arracha des mains et la jeta par la fenêtre. Il voulait que son fils se rende utile, « se lève tôt », ait des relations, etc. et surtout, ait l’ambition de servir son pays.
Son principal défaut était d’être jeune et « le fils de ». Son malheur, d’avoir à s’épuiser dans les fêtes, rallyes, cercles et clubs des quartiers huppés où l’on moquait son acné et sa chevelure romantique. Jean décida alors qu’il ferait de la résistance passive. Il mettrait plus de temps dans ses études que n’en avait mis son père. Il saboterait toutes les opportunités qui se présenteraient, négligerait tous les appuis qui s’offriraient. A l’occasion d’un regrettable accident avec son scooter, il rencontra une certaine Carla, lauréate malchanceuse de la Star Academy, sympathisante des mouvements autonomes italiens. Cette égérie au passé obscur le mit en relation avec des bandes de l’ultragauche défendant l’émeute et la délinquance comme forme de lutte contre l’Etat et le capitalisme. Secrètement Jean commença à devenir un activiste de premier plan de cette « gauche de l’extrême gauche ». Hélas, c’était sans compter sur la force de l’ambition paternelle et l’efficacité de ses pistons. Son ascension fut irrésistible et après avoir été élu conseiller général, voilà Jean propulsé à la tête de l’EPAD (Établissement Public pour l’Aménagement de la région de la Défense) où son élection est envisageable. Convaincu que la crise mondiale n’est qu’un prélude au Grand Soir, à la venue d’une rupture révolutionnaire où tout est possible, Jean se dit que l’heure de la fermeture a sonné dans les tours d’affaire de la Défense et que sa place est peut-être ailleurs, là où l’on obtient la peau de l’ours… après l’avoir tué.
Illustration: peinture anonyme XIXe siècle
Avez-vous remarqué comme « piston » et « fiston » sont cousins ?
L’art (dramatique) est de ne point les confondre !
Votre historiographie est très jolie. Un Nanni Moretti devrait s’intéresser à la vie de Carla plutôt qu’à celle de Berlusconi : le romantisme est sans doute de ce côté-là…
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