Commentant le beau livre de Jean-Michel Delacomptée, Langue morte. Bossuet (collection “L’un et l’autre », Gallimard), Pierre Assouline déplore avec l’auteur qu’« en 2027, année du quatre centième anniversaire de sa naissance, il faudra se battre pour rappeler le prosateur qu’il (Bossuet) fut et exiger sa célébration. Inutile d’attendre cette date pour comprendre que sa prose est une langue si classique que les Français l’entendent désormais comme une langue étrangère. »
Le comédien Eugène Green nous restitue (ressuscite?) ici dans une prosodie aussi proche que possible de la prononciation de l’époque ce texte admirable qu’est le Sermon sur la mort qui, certes, sonne « étrangèrement » à nos oreilles, mais n’en est pas moins merveilleusement beau – donc vivant.
« Vous serez peut-être étonnés que je vous adresse à la mort pour être instruits de ce que vous êtes; et vous croirez que ce n’est pas bien représenter l’homme, que de le montrer où il n’est plus. Mais si vous prenez soin de vouloir entendre ce qui se présente à nous dans le tombeau, vous accorderez aisément qu’il n’est point de plus véritable interprète ni de plus fidèle miroir des choses humaines. La nature d’un composé ne se remarque jamais plus distinctement que dans la dissolution de ses parties. Comme elles s’altèrent mutuellement par le mélange, il faut les séparer pour les bien connaître. En effet, la société de l’âme et du corps fait que le corps nous paraît quelque chose de plus qu’il n’est; et l’âme, quelque chose de moins: mais lorsque, venant à se séparer, le corps retourne à la terre, et que l’âme aussi est mise en état de retourner au ciel, d’où elle est tirée, nous voyons l’un et l’autre dans sa pureté. Ainsi nous n’avons qu’à considérer ce que la mort nous ravit, et ce qu’elle laisse en son entier; quelle partie de notre être tombe sous ses coups, et quelle autre se conserve dans cette ruine: alors nous aurons compris ce que c’est que l’homme; de sorte que je ne crains point d’assurer que c’est du sein de la mort et de ses ombres épaisses, que sort une lumière immortelle pour éclairer nos esprits touchant l’éclat de notre nature. Accourez donc, ô mortels, et voyez dans le tombeau du Lazare ce que c’est que l’humanité : venez voir dans un même objet la fin de vos desseins et le commencement de vos espérances; venez voir tout ensemble la dissolution et le renouvellement de notre être; venez voir le triomphe de la vie dans la victoire de la mort: Veni, et vide. »
Illustration: Vanitas
Vanitas vanitatis…