O beata solitudo, O sola beatitudo. Saint Bernard (devise de la Trappe)

hmorganlettrine2.1246615342.jpgA cause du malaise qu’il éprouvait face au public, Glenn Gould se réfugia dans la technologie (« la technologie EST une entreprise charitable » répétait-il) et le studio d’enregistrement en quête d’anonymat. Pour lui, l’isolement était « une composante indispensable du bonheur humain ». A Jonathan Cott, il déclarait en 1973: « J’ai toujours eu l’impression vague que pour chaque minute passée en compagnie d’être humains, il fallait x heures passées seul. Ce qu’est x, je l’ignore, deux heures sept huitièmes, ou sept heures deux huitièmes, mais c’est une quantité considérable. » Son obsession de la propreté et sa crainte des maladies étaient proverbiales. L’idée, par exemple, de manger (avec les autres) le terrifiait. Ecrivain prolifique (articles de revues, comptes-rendus, scénarios, correspondance, conférences) Gould a enregistré un nombre incalculable de programmes de radio et de télévision sous forme de concerts conventionnels, de documentaires et d’entretiens entrecoupés d’exécutions musicales. Durant les années 1960 et 1970, il innove en montant sept « documentaires radio en contrepoint » qui sont des tapisseries de sons évocateurs mélangeant des éléments empruntés au documentaire, au théâtre et à la composition musicale. Ces documentaires au style révolutionnaire constituent une fascinante « trilogie de la solitude » et portent sur des gens vivant en isolement: The Idea of North (1967); The Latecomers (1969) sur Terre-Neuve et The Quiet in the Land (1977) sur les mennonites du Manitoba. Neurasthénique et malade imaginaire, ce dépressif quasi autiste (selon certains) étonnait ses interlocuteurs par l’extrême gentillesse, et même l’attention chaleureuse qu’il portait aux autres. A l’une de ses correspondantes, peu avant de disparaître, il écrivit ceci: « La première année de ma liberté recouvrée, j’irai passer l’hiver dans une cabane au-delà du cercle arctique, avec quelques disques, quelques livres, beaucoup de papier vierge, et l’assurance qu’il existe un piano dans un rayon de 30 kilomètres, peu importe sa qualité. Et dans le double enfermement de cette chambre et des vastes étendues qui la protègent, je pourrai exercer la seule liberté qui compte en dernier recours, la liberté intérieure. »

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Illustration: Trois vues de la chaise de Glen Gould

  1. joelminois says:

    N’oublions pas Schopenhauer : « La solitude offre à l’homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d’être avec soi-même, et le second de n’être pas avec les autres . »

    Oui, n’oublions pas ce cher Arthur, le père « alcestueux » de tous les solitaires… 😉

  2. nomade says:

    Me fait souvenir en passant de ce vieux slogan publicitaire « c’est un produit Solitaire, c’est donc un produit sûr ! » diffusé, lui, à gogo.

    Schopenmachin me rend tristounet: point besoin d’être intellectuellement haut placé pour épouser le plaisir qu’il décrit. Mais il doit y avoir un autre contexte intellectuel là dessous…

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Patrick Corneau