Glosant sur les rapports entre images filmiques et réalité et les entorses au pacte de la représentation qui s’ensuivent parfois, Gérard Genette fait dans Codicille* cette remarque qui ne manquera pas d’intéresser la blogosphère: « On trouvera peut-être que je fais un peu trop de cas, trop souvent et trop longuement, et en y impliquant un peu trop de choses, de ce qui n’est, en principe, qu’une simple figure de style [la métalepse] ou qu’un badin tour de fiction. Mais il se trouve que notre société repose en grande part, et de plus en plus, sur la fascination qu’exerce sur tous, ou presque, le passage de l’image pixellisée à la réalité vécue, du « vu à l’écran » au « rencontré en vrai », et réciproquement bien sûr: des gamins se pressent à la porte d’un stade ou d’une salle de spectacle, ou de meeting politique, et vous expliquent (via un micro et une caméra) que « c’est quand même mieux de le voir en vrai qu’a la télé », mais leur plaisir de voir « en vrai » leur idole suppose (« quand même ») qu’ils l’aient d’abord vu « á la télé », qui fait les stars, et où les voici un peu médiatisés à leur tour : c’est un début. La virtualisation galopante de notre existence engage une sorte de métalepse en boucle, planétaire et réciproque, que je ne me sens pas apte à décrire davantage, mais que j’appellerais volontiers, pour résumer tout cela d’un mot-chimère, notre médialepse généralisée. La fonction des médias me semble assez bien représentée, avec un peu d’avance (1922), par ce sévère propos d’Alfred Fabre-Luce: La presse suit fidèlement l’opinion, qui elle-même reflète la presse. Deux miroirs, se réfléchissant l’un l’autre, ne montrent que le néant. »
* Fiction & Cie, Seuil, 2009.
Illustration: photographie de smif/Flickr
Chez Genette, rien à jeter.
Les deux, la presse et l’opinion, se guettant et se suivant l’un l’autre, « font route » sans comprendre qu’ils tournent en rond. Quel cirque !