Cette scène de 2001: l’odyssée de l’espace me hante. Sans doute une des plus effrayantes scènes de meurtre jamais filmées. Ce qui la rend si poignante, et si bizarre, c’est la réponse pleine d’émotion de l’ordinateur lors du « démontage » de son esprit*: son désespoir à mesure que ses circuits s’éteignent les uns après les autres, sa supplication enfantine face à l’astronaute, « Je le sens, je le sens. J’ai peur », sa métamorphose et son retour final à un état d’innocence. Transformation touchante notamment lorsqu’il demande à l’astronaute s’il veut entendre une chanson: la réponse de Dave (« yes HAL, sing for me ») sonne alors comme un fugitif moment de bonté qui vient rédimer cette glaciale mise à mort. L’épanchement des sentiments de HAL, sa « voix » plaintive (progressivement « déshumanisée » à mesure que la déconnexion se fait) contrastent avec l’absence d’émotion qui caractérise les personnages humains dans le film, lesquels s’occupent de leur mission avec une efficacité toute robotique. Leurs pensées et leurs actions semblent scénarisées, programmées comme s’ils suivaient les étapes d’un algorithme. Dans le monde de 2001 (film sorti en 1968), les hommes sont devenus si semblables aux machines que le personnage le plus humain se trouve être… une machine. C’est l’essence de la sombre prophétie de Kubrick: à mesure que nous nous servons des ordinateurs comme intermédiaires de notre compréhension du monde, c’est notre propre intelligence qui devient semblable à l’intelligence artificielle.

Alors, bloguer sans conscience, serait-ce la ruine de l’âme?

La même séquence in french.

* Il arrive aussi qu’on les rajeunisse (télescope spatial Hubble).

  1. Joséphine MAHO-EMMANUEL says:

    Bloguer, sans inconscient oui , est ruine de l’âme,
    si l’inconscient c’est le corps
    et avec lui le désir
    et avec lui la sexuation.

    un blog est -ce un pur énoncé? une chose qui s’énonce ? un déchet de la science? Je dis ça je dis rien!

  2. Vu hier soir un reportage sur France 2 (« Envoyé spécial ») montrant comment une entreprise japonaise « redresse » ses cadres en les envoyant dans un « camp » où ils sont soumis à un certain nombre d' »exercices » tournant à l’humiliation enrégimentée et à l’absurde (chanter de l’autre côté d’une autoroute).

    Des robots « humains », formatés sur l’idée de l’obéissance aveugle, tout cela au service de l’entreprise et de l’économie globale auxquelles les employés doivent être dévoués corps et âme.

    Kubrick avait tout vu.

    (P.S. : bloguer est un pari.)

  3. Océania says:

    Oh que oui,… ruines de l’âme…

    Bloguer, c’est partager ce que l’on aime, c’est réagir aux évènements, pour ne pas se laisser soumettre, c’est éveiller des émotions… sans attente de retour.
    Lorsqu’il y a des échos, tant mieux, c’est un accusé de bonne réception, c’est un lien d’amitié qui se noue sur des territoires que l’on découvre parce que l’envie de les explorer est vivante.
    Nous sommes poreux à la beauté, à l’humour, à la curiosité, à la colère, à la joie, au chagrin.
    Nous aimons les belles histoires, les fenêtres qui s’ouvrent,
    nous aimons donner des mots aux autres pour qu’ils se lisent mieux.

    Oh que oui,… joie de tisser l’âme !

  4. Cette terrible scène, ce meurtre et ce retour à l’enfance.
    Bloguer sans conscience, peut être, si on vit sans conscience.
    Mais c’est aussi partager. Du fond de ma province, je le vis comme ça. C’est futile, certes, mais utile.

  5. Pat says:

    @Océania:c’est là presque une vocation ô combien touchante.

    Notre président a découvert depuis peu ce magnifique film. J’espère qu’il lui aura apporté une réflexion qu’il ne s’accorde pas beaucoup, je crois.

  6. Pat says:

    Cependant Hal reste une « créature » de l’homme! Peut-être est-il aussi l’inconscient de l’homme? Que dire de la fin du film??

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Patrick Corneau