livrepjtoulet.1230474124.jpgIl est des vies orientées par cette chose, qui s’appelle la grâce dont la rentabilité n’est pas immédiate. C’est même un investissement hasardeux, qui ne ­rapporte qu’à titre posthume. Brûler cette vie-ci, vaut peut-être cette chandelle-là.

Orphelin de mère, Paul-Jean Toulet a cherché la beauté d’icelle toute sa vie et partout. L’a retrouvée parfois, perdue souvent. Cette fêlure native, le poète béarnais en a fait un gouffre pour y jeter sa fortune, sa santé, ses amours, ses nombreux et inaboutis talents et quelques vices forcément punis. Ce grand fêtard mélancolique aura, parfait dandy, fait de sa vie une œuvre d’art. Comme sa production, elle est courte (53 ans), pleine de courtisanes splendides et de plaisirs sévèrement réprimés (le poker, l’opium, l’alcool). Rien n’est plus déchirant qu’une existence détruite par la recherche de moments parfaits sublimés en quelques poèmes posthumes (Les contrerimes) comptant parmi les plus beaux de la littérature française. Accorder le lyrisme et l’ironie, l’érudition et la fantaisie, l’amour et le désenchantement (Too late disait-il de lui en jouant sur son nom avec l’accent béarnais) n’est pas une mince affaire: cette gageure peut occuper toute une vie et générer un « scepticisme aéré ».
On ne dira jamais assez combien le roman-biographie de Frédéric Martinez est une réussite: la vie en morceau de « PJ » y est ressuscitée par le bonheur des mots et l’empathie d’un regard lumineux. A prendre et à garder…

Extraits (p. 234-235): « Toulet occupe dans l’histoire littéraire la position intenable d’un grand écrivain sans grand livre. Enfin, si, il y a les Contrerimes. Et puis quelques Lettres à soi-même, griffonnées sur des cartes postales d’une laideur impeccable, ô dandysme. Et puis des pages ici et là. Quelques chroniques.
Toulet est un sprinter, un pur-sang. Son chef-d’œuvre, sa morale, c’est son style. Cet écrivain du fragment éparpille ses trésors au gré de son humeur, s’efforce d’unifier sa vie au fil de poèmes, en vers ou en prose, qui sont autant de chapitres d’une autobiographie désinvolte. Son livre c’est sa vie. Voilà, Toulet fait de l’autofiction sans en faire une histoire, avant la lettre et contre son gré. Vous avez dit moderne? »

Prends garde à la douceur des choses, Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux, de Frédéric Martinez, éd. Tallandier, 349 pages, 20 euros.

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Patrick Corneau