Le rire de Spinoza ne me plaît pas. Revenons au gobe-mouches: la comparaison avec l’existence humaine apparaît inévitable. On nous attire avec un peu de sucre. Nous accourons. Un instant plus tard, passé l’entrée fatale, nous sommes prisonniers de la cloche de verre. Pas d’issue. Au dehors, la fenêtre est ouverte sur le ciel d’été: nous voyons tout cela à travers la paroi de verre, nous ne pourrons jamais la briser. Lentement étourdis par le vinaigre, nous tombons dans l’eau, au-dessous de nous, et nous nous y débattons longuement, avec d’innombrables compagnons, formant des couches, des chaînes, des magmas de naufragés sans sauve-qui-peut, jusqu’à ce qu’une main, avec une brutale précision, nous précipite tous dans une obscurité définitive. Une époque est finie. Un monde est fini. Un système solaire est fini. L’Histoire recommence, avec un autre sucre. Et avec d’autres mouches.
Illustration: photographie de Marino Thorlacius librement modifiée par Le Lorgnon mélancolique
J’aime Spinoza et sa philosophie, et son rire (il polissait des verres et peut-être même de lorgnons !) est celui de l’étonnement, principe de base pour appréhender l’univers impitoyable des hommes, des animaux ou des insectes.
Eh oui, Shakespeare l’a dit autrement, Schopenhauer aussi, pas de dessein intelligent, pas d’intention sensée, pas d’espoir d’amélioration, mais l’important n’est pas dans cette constatation, il est d’en conclure que ce n’est pas une raison pour ne rien faire.