L’âge que j’avais hier (cinquante-six ans) est selon Dostoïevski dans L’Idiot « l’âge auquel on peut dire que commence la vraie vie » – Dont acte! Il se trouve que c’est aujourd’hui mon anniversaire (et ce n’est pas un poisson d’avril!) Je ne suis donc plus précisément dans l’option mentionnée par le maître de Pétersbourg et pourtant la vie continue, vraie ou pas… Je ne pouvais rêver meilleure opportunité pour parler, ce dimanche, de la suspension, de la « mise entre parenthèses » des choses, bref pour célébrer le temps mort.
Le temps mort c’est la mesure pour rien dans le tempo de l’existence, l’ »intervalle mort » en musique ou la césure en poésie, temps de halte après la syllabe accentuée. Le moment de l’alternance entre deux polarisations; cette latence entre temps excité et temps réfractaire, entre faim et satiété, entre désir et frustration, entre crise et rémission. Entre On et Off. C’est le temps de la maturation, le temps de l’incertitude. Le temps de la disponibilité, le temps des options divergentes qui doivent être confrontées l’une à l’autre.
Pour certains, cet entre-deux constitue « la ouate de la vie quotidienne » (Virginia Woolf) où s’accomplissent les gestes machinaux tandis que nous flottons; pour d’autres, c’est un lieu géométrique et temporel secret, ils y sont « présents ailleurs », dans l’angle mort, au « point-repos » (still point) du monde:

Au point-repos du monde qui tourne. Ni chair ni privation de chair;
Ni venant de, ni allant vers; au point-repos, là est la danse;
Mais ni arrêt, ni mouvement.

T.S. Eliot, « Burnt Norton », Quatre Quatuors. Poésie, édition bilingue, trad. de Pierre Leiris, Paris, Le Seuil, 1976, p. 161.

  1. Posuto says:

    Sans point-repos, la vie n’est-elle pas une roue de hamster qui tourne ?
    Bonmélancolo lorgnanniversaire ! 🙂
    (je sais, c’est moyen, mais c’est du travail artisanal)

  2. Oh, j’ai bien peur que mon vrai temps mort sera précisement le temps où la vie cessera de m’occuper. En d’autres termes, j’aurai fait mon temps!
    Là, j’essaie de le suspendre, ce temps, et même de le remonter un chouia (2 avril, j’suis en retard!) pour vous souhaiter un anniversaire aussi (peu?) mélancolique que possible.

  3. Merci pour vos souhaits, qui font baisser le taux de mélancolie ! Même si concernant celle-ci et le rôle qu’elle est sensée jouer ici, je paraphraserai Vialatte (« Tout le berger n’est pas dans le mouton ») en disant que tout le blogueur n’est pas dans le blog…
    😉

  4. solange says:

    J’avais cherché un petit cadeau poétique pour cette belle circonstance. Emilie Dickinson, trop dans la souffrance et le renoncement ; Marceline Desbordes- Valmore : trop amoureuse. Et d’autres, et puis finalement :
    « Vers le soir
    Abandonne-toi à ton double destin :
    Habiter le coeur du paysage
    Et faire signe aux étoiles filantes ».
    François Cheng – A l’Orient de tout –
    Poésie Gallimard – page 59

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Patrick Corneau