Puisque que le temps des résolutions (forcément bonnes, fermes, etc.) est venu, qu’il me soit permis de parler de l’irrésolution, du flottement, de la volition faible, velléitaire dans leur sommet littéraire, à savoir le fameux I would prefer not to… de Bartleby, l’impeccable scribe de Melville.
Il y a quelque chose d’insolent et même de profondément subversif dans les refus doux et polis (« j’aimerais mieux ne pas… ») – mais intraitables – de celui qui ne disait rien et n’acceptait rien sauf des biscuits au cumin. Cette réponse blanche, ce retrait supérieur est la manière très aristocratique qu’a l’ »idiot intelligent » de suivre sa ligne de fuite, d’être là où personne, c’est-à-dire le social, ne peut l’atteindre, le contrôler. Ainsi la réponse de Robert Walser* au visiteur qui vient un jour lui rendre visite à l’improviste et à qui il se donne pour son propre domestique: « Robert Walser n’est pas là ». Walser était un zéro qui « préférait » être rien plutôt que quelque chose, que quelqu’un et n’avait rien à communiquer. Et en cela précisément réside sa richesse. Richesse du « fou » qui rend fou les autres: avec lui nous ne savons plus où nous en sommes et, à la limite, qui nous sommes! Il fut copiste comme Bartleby et consacra toute sa vie à copier, à transcrire des écritures qui le traversaient comme une plaque transparente.

Lignée des intraitables, des incomparables, des uniques auxquels il faut ajouter, le Lenz de Büchner, le Prince Muychkine de Dostoïevski, le Champion de jeûne de Kafka, Jakob von Guten du même Walser, Mister Chance (La présence) de Kosinski dont je reparlerai et tant d’autres qui tiennent les « petits arrangements » et la soumission – dont nous pensons que « c’est la vie » qui nous les impose – pour intenables, inacceptables. Ces tenants du « ni… ni… » rendent d’autant plus insupportable la cohorte des artistes sans chair ni poisson qui transforment la brutalité du monde, c‘est-à-dire tout excès ou étrangeté, en « mi- mi-« .

* Ne pas manquer l’émission de Jean Lebrun sur France Culture: « Travaux Publics  » consacrée à Robert Walser (lundi 1er janvier à 18h30).

Illustration: photographie prise par la police de Herisau montrant le corps inanimé de Walser tel qu’il fut trouvé le matin du 25 décembre 1956.

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Patrick Corneau