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Sous le ciel de Paris – conte philosophique (V)

Patrick Corneau

Il était ouvert aux promesses de l’avenir, à la surprise. Quant à savoir s’il aimait Lisbeth, c’était une chose que, dès le début, il ne pouvait dire. Que signifie le mot amour ? Il éprouvait plus souvent de la perplexité que de l’amour, ce grand mot qui recouvre tant de « choses différentes ». Il avait depuis longtemps l’intention de se séparer de Lisbeth ; il provoquait des disputes pour disposer, au moment opportun, de l’énergie nécessaire à la rupture. Entre les deux s’était amassée avec le temps une haine qui fondait pourtant devant le « regard aimant » de Lisbeth et se transformait en tendre affection, masse collante qui les tenait tous les deux, elle et lui. Chacun d’eux se disait qu’on pouvait encore tirer quelque chose de cet « attelage » avant de se décider à s’éloigner. L’idée de la séparation lui donnait du baume au cœur. Cela le ramenait inévitablement vers elle. Puis un jour de janvier, vers 17 heures, Lisbeth prit l’autoroute de Lille ; il y avait du brouillard à la sortie du périphérique. L’accident la laissa paraplégique. Désormais, Alain ne pouvait plus abandonner celle qui était maintenant paralysée. Cela aurait été plus qu’une répudiation : de la désertion. Il avait sous-estimé le danger – le danger pour sa propre vie – en prolongeant un peu plus chaque jour cette liaison dont il ne voulait plus, au fond.

Toute relation peut se raccommoder, surtout celles qui n’ont aucune raison bien précise. Pour son cinquante-cinquième anniversaire, elle lui avait fait cadeau, « par reconnaissance », d’un bel ensemble Home TV Cinéma, étant donné qu’elle apportait en dot sa pension d’invalidité. Pour son soixantième anniversaire, elle a écrit sur la page de garde de Du Bonheur, un voyage philosophique de Frédéric Lenoir qu’elle vient de lui offrir (il s’est mis à la lecture) : « En gage de fidélité éternelle. Lisbeth. » Tous les deux ont fondu en larmes, car ils savent que c’est terrible.

(à suivre)

Illustration : photographie ©LeLorgnonmélancolique.

Prochain billet le 11 juillet.

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Patrick Corneau