Patrick Corneau

Pendant longtemps j’avais été très heureuse.
Marcela Iacub, En couple avec moi-même, p. 20.

Emma Watson (29 ans), l’actrice qui doit sa célébrité au personnage d’Hermione dans la saga Harry Potter a déclaré qu’après une séparation douloureuse, elle était « très heureuse d’être seule » : « Je suis en couple avec moi-même, je préfère appeler cela auto-partenariat plutôt que célibat ».
Allant un peu plus loin dans ce choix de vie, une jeune britannique, Sophie Tanner, s’est même mariée avec elle-même, en mai 2015. Elle s’est rendue à l’église vêtue d’une traditionnelle robe de mariée en ivoire, au bras de son père : devant sa famille et ses amis, elle a récité les traditionnels vœux de mariage chrétiens, en promettant de s’aimer et de se chérir elle-même. Jusqu’à sa mort.
Ce mouvement appelé sologamie touche de plus en plus de femmes des 4 coins de l’Europe et des États-Unis – la plupart la trentaine – qui choisissent de s’engager dans une union en solo et, par un acte revendiqué comme un symbole d’autosuffisance, défendent une certaine façon d’envoyer paître le patriarcat. Toutefois, aucun pays européen ne reconnaît légalement les adeptes de la sologamy.

Le concept du « mariage avec soi-même » est une vague sur laquelle surfe le dernier livre de Marcela Iacub En couple avec moi-même (chez Léo Scheer) avec une alacrité toute personnelle puisque l’héroïne de ce récit n’est autre que Marcela. À la pointe sur les questions de mœurs, Marcela Iacub, directrice de recherche au CNRS, met ses recherches universitaires à l’épreuve de sa vie personnelle en publiant des essais et romans incisifs voire polémiques dont Belle et Bête (Stock, 2013) qui avait défrayé la chronique lors de l’affaire DSK et La Fin du couple (Stock, 2016).
Ce dernier essai s’inscrit dans la tendance du « single positivity movement », incarné notamment aux États-Unis par la chanteuse Lizzo. Mélange de confession additionné d’analyses sociologiques et historiques qui débouche sur une idée de virage révolutionnaire et utopique, En couple avec moi-même dessine les prolégomènes d’une mutation possiblement anthropologique ; dans l’air, il faut bien le constater, tant de gens étant déjà solidement en couple avec leur smartphone

C’est sûr, Marcela Iacub se délecte à jouer les méchantes, c’est une « sorcière » surdiplômée, brandissant de sulfureux écrits, à cheval sur un balais de non-principes destiné à faire tomber la sacralisation de l’individualité et la royauté du couple. Sa conviction est un ferme refus de l’idée selon laquelle la survie de l’espèce nous pousserait à vivre en couple : « Ce sont les politiques sociales qui favorisent la procréation en couple pendant au moins quelques années. On n’ose pas encore en mettre en place d’autres qui soutiennent la procréation en solitaire. Mais le monde change. La sacralisation de l’individu fera de la monoparentalité la norme et l’idéal du couple tombera. » Sombre et intenable prédiction pour certains, réaliste et exaltant programme pour d’autres…

Reprenons le fil de ce récit.
Après le divorce d’avec son deuxième mari, une quadragénaire s’apprête à chercher un nouveau conjoint. Elle ignore qu’elle ne vaut plus rien ou presque sur le « marché matrimonial » et sous-estime les difficultés relationnelles en tout genre qui l’attendent dans ses tentatives pour retrouver un compagnon. Premier handicap : l’intelligence et un statut socioprofessionnel élevé, difficilement supporté par un homme qui, naturellement, a besoin « pour être un homme » de se sentir supérieur intellectuellement à celle qui partage sa vie. Il préférera « n’importe quel vice chez une femme hormis l’intelligence ». L’âge aussi est rédhibitoire : « même une femme déformée par une explosion nucléaire, aux allures d’une araignée transgéniques de 25 ou 30 ans, leur plairait davantage qu’une belle de votre âge ». Par ailleurs, une « espèce de complot social fait croire aux quadragénaires que le fait d’être rejetées par les hommes qu’elles convoitent est lié à la nature. » Autrement dit, vous n’êtes plus « valide » pour des hommes de votre âge, « il ne vous reste que les vieillards pour être « mordus » par vos restes, même s’ils sont beaux comme les ruines d’un grand empire ». Si la fureur des lois sociales ne vous convainc pas de votre obsolescence, l’institution psycho-analytique sortira son grand jeu pour vous expliquer que vous êtes une « handicapée affective ». Mais de déception en fin de non-recevoir, même si la réalité étant têtue, voire impitoyable vous avez finalement renoncé au couple en toute connaissance de cause, c’est-à-dire rationnellement, vos émotions, elles, ne suivent pas, ne se plient pas à de froides décisions, elles continuent à attendre le prince charmant : « Je n’avais pas réussi à éteindre dans mon cœur l’opium de l’espérance ».
La deuxième partie du livre intitulée « Dans la trappe » n’est pas la remontée victorieuse vers une résurrection, c’est l’expérimentation de solutions de remplacement de ce qui était accessible avec un conjoint stable, soit la collection compulsive « d’amis intimes et d’amants ». Et, bien évidemment, c’est un désastre absolu, une plongée encore plus sévère dans l’opprobre et l’humiliation avec des dégâts collatéraux sur le physique, le mental : conséquemment la perte d’estime de soi. Il y a là de beaux passages sur la foi en soi-même qu’on appelle « l’amour de soi ». La narratrice comprend le mécanisme et les conditions qui l’autorisent, y compris avec le concours involontaire de sa petite chienne. Les amitiés que l’on a tissées ne vous sont plus d’aucun secours, et les rares qui se maintiennent ne vous consolent qu’avec de fades litanies qui n’expriment qu’incompréhension au mieux, indifférence au pire.

Or, loin de se résigner, la rédemption – si l’on peut dire – l’héroïne la trouve avec une solution révolutionnaire : se mettre en couple avec elle-même. C’est l’objet de la troisième et dernière partie intitulée « Le saut ». J’avoue n’avoir pas été convaincu par le procédé utilisé pour narrer cette révélation : l’histoire d’amour entre Marcela et MI, son alter ego soit « cette partie de moi que j’ai transformée en un être à part sans que pour autant elle cesse d’être moi-même ». Cette construction schizophrénique m’a paru bien artificielle, maladroitement allégorique donc peu crédible et affaiblir la démonstration. Heureusement, l’auteur (Marcela) se reprend et ne s’appesantit pas sur cette curieuse manière de trouver son bonheur. La toute dernière séquence, plus argumentée, cherche à nous persuader qu’à l’avenir, chacun comprendra que cette recette d’être en couple avec soi-même est la seule viable pour l’humanité toute entière. Ainsi : « Si je devais résumer ce point de la sociabilité pour les gens qui, comme moi, sont en couple avec eux-mêmes, je pourrais dire ceci : Nous n’attendons des autres rien de vraiment important. Cela ne veut pas dire que nous n’en attendons rien. Mais ce qui est fondamental, ce qui nous tient vivants, ce qui nous octroie la joie de vivre trouve sa source dans nos noces avec nous-mêmes. » Immanquablement, c’est la vie de couple qui devient alors compromise : « car, une fois la période de grâce passée, elle est intolérable pour le type d’individus que nous sommes devenus depuis quelques décennies » déclare Marcela. Il est avéré que l’explosion du nombre des familles monoparentales observée par les enquêtes statistiques, montre qu’un grand nombre de femmes qui vivent hors couple avec leurs enfants mineurs sont prêtes à dissocier le couple de la maternité : « De fait, les lois autoriseront désormais les femmes seules à faire appel aux techniques médicales de procréation. Grâce à la gestation pour autrui, les hommes pourront eux aussi faire des enfants seuls, ce procédé n’étant autorisé aujourd’hui que lorsqu’ils font appel à cette technique à l’étranger. En bref, la dissociation, pour les deux sexes, du couple et de la filiation finira par mettre en miettes les unions cohabitantes comme forme hégémonique de la vie privée. »

Voilà ce qui se profile à l’horizon de notre post-modernité. Qui ne voit là que ce sont les promesses du transhumanisme et que les enjeux sont tels que l’on peut parler de tournant civilisationnel voire anthropologique ? Plusieurs voies sont envisageables. La première est l’élimination des mâles, ces êtres surnuméraires, déloyaux, qui n’apportent que des complications aux femmes et les empêchent d’être heureuses. L’autre voie est l’abolition pure et simple de la division sexuelle et sa dénaturalisation en « genre » éligible. Sans refaire l’histoire de l’humanité et l’apparition sur terre de la sexualité (-1 milliard d’années), rappelons simplement que l’intérêt passionné d’un sexe pour l’autre basé sur leurs différences biologiques, et en même temps l’asymétrie de ce désir – avec au premier chef l’inamendable propension masculine à la polygamie – fondent dans le même mouvement, et la complicité, et la « guerre des sexes » dont tous les folklores, toute les littératures portent témoignage. Au contraire de sa reconfiguration en genre, « la naturalisation de la différence sexuelle, comme l’a écrit Pierre Manent, libérait les grandes eaux de la parole humaine, suscitant le besoin et nourrissant le désir de paroles et de pensées capables de lier et pour ainsi dire tisser ensemble les deux versions de l’humanité ».
Sommes-nous face à la réalisation de la terrible prophétie de Vigny ? La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome / Et, se jetant, de loin, un regard irrité / Les deux sexes mourront chacun de son côté.
N’y a-t-il pas au bout de cette révolution la destruction de la culture dont la polarité sexuelle est le moteur-même et l’advenue d’un Meilleur des mondes à côté duquel les totalitarismes du XXe siècle n’auront été que des esquisses d’amateurs ?
Je vous laisse digérer et méditer les attendus* des options de vie formulées par Marcela Iacub à partir de la dénonciation des lourdes astreintes de la vie de couple**. « C’est vrai que »*** le débat ne fait que commencer et il est probable qu’il prendra des tournures violemment agonistiques à la hauteur des colossales disruptions à venir. L’histoire de l’émancipation humaine est un long fleuve, au cours agité, il s’accélère en rapides, aux abords de gigantesques chutes…

* ce que se sont bien gardés de pointer les articles de presse parus sur ce livre…
** avec son extraordinaire sagacité, Colette avait compris qu’au lieu vainement d’abolir les différences intrinsèques qui constituent les deux sexes, les comprendre en profondeur permettrait seul de vivre en harmonie. Ajoutons qu’en 2014, dans Le Goût de la vie commune (Flammarion), Claude Habib fit un éloge remarqué du couple durable. Se définissant comme « spontanément conjugaliste », elle critiquait l’idéal d’autonomie ainsi : « Pour moi, l’autonomie, ce n’est ni bien, ni mal, c’est juste inconsistant. »
*** tic de langage qui revient une dizaine de fois sous la plume de Marcela Iacub…

En couple avec moi-même de Marcela Iacub, Éditions Léo Scheer, 2020. LRSP (livre reçu en service de presse).

Illustrations : photographie de Luc Monnet / Éditions Léo Scheer.

Prochain billet le 19 mars.

  1. Serge says:

    Il est piquant de savoir que cette dame qui prône la solitude et j’imagine les joies de la masturbation a eu une liaison avec Strauss Khan, un vieux mâle blanc violeur et baiseur convulsif, dans le but avoué de tout dévoiler dans un livre. Rappelons-lui aussi que les femmes sont souvent attirées par des hommes plus âgés qui gagnent plus d’argent qu’elles et qui ont du pouvoir ou de l’entre-gens. Ce qu’elle a parfaitement démontré. En ce qui concerne les enfants et leur éducation nous constatons tous que ceux élevés par leur seule mère sont plus sujets aux troubles de comportements, à l’échec scolaire, à la délinquance et aux crises identitaires.
    Elle écrit des livres en s’inspirant de ses échecs personnels. Les rapports hommes/ femmes sont le plus souvent empreints de collaboration, d’entraide, de séduction, de plaisir, de complicité. Il est dommage qu’elle ne le sache pas.

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Patrick Corneau