« Sachons goûter le bonheur de partir, même quand nous sommes sûrs de ne jamais arriver », écrivait Henri Roorda en 1921. Quatre ans plus tard, il mettait fin à ses jours. Il expliqua son geste dans un texte posthume Mon suicide envoyé à ses amis où il explique son choix et jette définitivement le voile sur une vie teintée d’un pessimisme joyeux et d’une ironie érudite. Dans ce texte émouvant et drôle figure un chapitre intitulé Ce qui dure trop et dont j’ai extrait le passage suivant lequel explore subtilement les raisons pour lesquelles « ce qui dure trop », dure encore…

« Dans l’univers que nous habitons, les mouvements ne s’arrêtent pas lorsque l’impulsion première qui les provoqua cesse d’agir, ils continuent par inertie. Longtemps encore, ici et là, on continuera à célébrer, périodiquement et mécaniquement, telle fête patriotique qui, Ia première fois, manifestait l’enthousiasme de toute une nation. Par habitude, l’École d’aujourd’hui continue à dicter à ses élèves des « cours » qui auraient peut-être eu quelque utilité au Moyen Âge, à une époque où les livre étaient extrêmement rares. Des hommes qui ont cessé d’aimer et de croire débitent encore des formules qui exprimèrent un jour leur amour et leur foi. Et voici que je songe au vieux monsieur Sigismond. La vie n’a pas pu lui apprendre l’art d’être grand-père. Ses enfants ont déjà des enfants, sa tâche est terminée et pourtant, lorsqu’une fille passe à côté de lui dans la rue, il se retourne, prêt à faire des bêtises. Il y a en monsieur Sigismond quelque chose qui a trop duré.
Des choses qui se survivent, des mouvements qui continuent après avoir perdu toute raison d’être voilà ce qui donne un caractère durable aux habitudes des individus et des peuples. L’inertie joue dans l’histoire des hommes un rôle fondamental. Il serait puéril de le déplorer. Mon vieil ami Jacques qui, depuis trente-cinq ans, enseigne la grammaire à de petits collégiens, n’aime plus son métier. Il est fatigué! Mais l’automatisme est la récompense de ceux qui ont longtemps travailler avec bonne volonté. Grâce à la virtuosité qu’il a acquise, par habitude, Jacques continuera à donner correctement ses leçons, avec une cordialité tout mécanique, jusqu’au jour où il pourra toucher sa pension de retraite. Son coeur n’a plus de grands élans; mais il y a en lui un mouvement utile qui continue. »

Illustration: origine internet.

Prochain billet le 8 octobre.

  1. Serge says:

    À mes collègues pressés de partir en retraite, je dis que j’espère pour mes enfants un métier où ils ne soient pas trop pressés de prendre leur retraite. Car cela signifie que vous avez choisi (si vous avez le luxe de choisir) un métier pénible ou ennuyeux.
    Et c’est triste.
    Johnny Halliday où Jack Lang sont-ils pressés de partir?

    Mes collègues ne me parlent plus de retraite.

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Patrick Corneau