Ça a commencé comme ça.
Le choix de chaussures plus confortables qu’élégantes.
Le goût pour des vêtements larges, un peu déstructurés.
Un penchant pour les déjeuners plutôt que les dîners en ville.
Les séances de cinéma en matinée, de préférence les lundis ou mardis.
Le porto plutôt que le whisky.
Les vins ronds et gouleyant plutôt que les râpeux et minéraux.
Des coupes de cheveux de plus en plus courtes à mesure de leur raréfaction (les cheveux).
Des goûts de lecture qui se déportent insensiblement vers les mémoires, les journaux intimes ou l
a poésie, surtout celle où le poète se fait absent.
Un regain d’intérêt pour le dessin, la peinture « rétinienne ».
Davantage de goût pour la photographie en noir et blanc que couleur.
Plus d’oreille pour Bach que pour Wagner.
Une acuité à percer le bruit du monde tandis que ce dernier semble s’éloigner toujours plus.
Le regard d’incompréhension d’un jeune interlocuteur lorsque le mot « truchement » sortit de ma bouche.
Le passé plus présent et l’avenir moins pressant.
Pour toutes choses un besoin de lenteur, de patience, de maturation.
Une inclination pour les douceurs amorties de l’automne plutôt que les rutilances du printemps.
Flâneur plutôt que marcheur ou randonneur.
Une tendresse pour le silence des églises et la paix des cimetières.
La voiture délaissée pour le vélo, puis celui-ci pour les transports en commun – plutôt le bus.
Et puis un jour, dans le métro, deux jeunes femmes (pas des jeunes filles) se sont levées simultanément pour me laisser leur place.
J’ai compris alors que j’étais vieux.

(Je respire, j’ai quelques années avant le stade du vieillard)

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

Prochain billet le 24 septembre.

  1. La Baladine says:

    Où je découvre (non sans une pointe de malice) que j’ai en moi quelques traits de vieillesse depuis toujours; Bach, l’automne, le silence… Au moins je ne me sentirai pas trop dépaysée! 😉

  2. Pascale BM says:

    Selon les lignes, ou je suis une épouvantable vieillarde, ringarde et irrécupérable, ou je suis bien plus jeune que je ne croyais moi-même. Ou quand je suis née j’avais déjà cent ans (flâner plutôt que marcher, dire « truchement » et autres inactualités sémantiques, sans compter les grammaticales… pour exemples, mais tant d’autres) ou bien je n’ai jamais grandi (les vins minéraux, le whisky… et les chaussures toujours élégantes). On ne dira pas, ce serait un lieu commun, que vieillir ou ne pas vieillir ‘c’est dans la tête’ mais on remarquera sans vouloir chipoter qu’il y a des signes qui ne trompent pas, et qu’ils sont sacrément visibles. Hélas, mille fois hélas. Aucun rattrapage possible. (c’est mon côté Cioran-Schopenhauer-Pascal-Montaigne même, en toute humilité…. (j’ai pas les petits bonhommes jaunes qui s’imposent, et là je marque nettement que je suis une ancêtre ancestralement dépassée, pensez donc!!!))

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Patrick Corneau