Dire n’est pas une mince affaire. Contrairement à ce que semblent croire la plupart des gens, c’est l’exact opposé du bavardage, de la discussion.
« Ne pas vouloir dire, ne pas savoir ce qu’on veut dire, ne pas pouvoir ce qu’on croit qu’on veut dire, et toujours dire ou presque, voilà ce qu’il importe de ne pas perdre de vue, dans la chaleur de la rédaction. » Samuel Beckett
« Dire et redire encore, redire autant de fois que la redite s’impose, tel est notre devoir qui use le meilleur de nos forces et ne prendra fin qu’avec elles. » Louis-René des Forêts
« On dit ou on croit dire ce qu’on a à dire, et puis on rentre à nouveau la tête dans les épaules. C’est tout. » Thomas Bernhard
« Il faut avoir beaucoup dit pour mériter de se taire. » Robert Pinget
Sans oublier la fin d’Un amour de Swann: « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre! »
Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.
Prochain billet le 29 août.
Vous touchez là, mine de rien, un point redoutable. Peut-être même la question essentielle de notre rapport à la parole. L’écrite. L’orale s’est diluée, volatilisée, atomisée dans les formules pré-disposées à presque toutes les situations. Il est bien remarquable, d’ailleurs, que les phrases citées soient d’écrivains, autrement ‘dit’, qui consacrent leur temps aux mots.
J’avoue ma grande attention à tous ceux qui tentent de dire l’indicible, l’ineffable, et le font si bien…
Ce qui me touche, mine de rien, dans votre commentaire c’est l’expression « l’air de rien » car c’est tout ce que j’aime en littérature : dire sans dire, dire sans appuyer, dire « d’un cœur léger, avec des mains légères » bref, la « sprezzatura »… Oui, l’oral a disparu dans la communication, autrement dit le plus bas étiage dans l’emploi de la parole. Passons. Quant à l’indicible, l’ineffable, heureusement avant d’en arriver à la sentence de Wittgenstein (« Ce dont on ne peut parler, il faut le taire »), il y a tout l’espace de la poésie…
Wittgenstein, je l’avais en réserve… pas osé! Cette phrase est terrifiante, d’autant que certaines traductions remplacent « parler » par « dire ». C’est une phrase que je prends positivement, une invitation à pratiquer … l’acribie (je souris, la machine n’accepte pas ‘acribie’ et me propose ‘alcibiade’!!!) : plutôt que de parler pour ne rien dire, se taire.
En revanche, oui, bien sûr et ô combien, la poésie, donc les poètes, c’est bien à eux que je pensais…
Vous avez remarqué, bien sûr, que je n’ai pas employé l’expression « l’air de rien » que vous m’attribuez aimablement, mais le « mine de rien » dont vous vous faites l’écho en réponse… Mais » l’air de rien » on s’est compris sur l’essentiel, en le disant sans le formuler pour autant…