« Quand j’en ai assez, je rentre mon visage en moi-même. Il n’y a plus qu’une peau lisse sur laquelle personne ne peut lire. Cela m’arrive souvent, hier encore dans un salon.
Mais bientôt quelqu’un s’écrie: Oh! Regardez! Alors brusquement je sors mon nez, je déploie mes oreilles, j’ouvre la bouche et les yeux.
Je vois que tout le monde me regarde.
Il n’y a plus rien à voir. »
Pierre Bettencourt, Fables fraîches pour lire à jeun, Lettres Vives, 1993.
Fabuliste fantaisiste et artiste plasticien, Pierre Bettencourt vécut en marge du milieu littéraire et mérite d’être désensablé…
Lettre de Marcel Aymé à Pierre Bettencourt:
Monsieur et très estimé confrère,
La substance de vos Fables fraîches m’a paru si riche et son expression si dense que je n’ai pas cru pouvoir vous en écrire avant d’y avoir pensé longtemps. En ayant cloisonné le substrat, pesé et lignifié le propos et mot-à-moté la texture, un enthousiasme durable, une ferveur qui sait ses raisons m’autorisent aujourd’hui à vous livrer mon sentiment. Vous avez écrit là, honoré confrère, une oeuvre ferme, pourtant simple et poreuse qui nous découvre mille secrets de vie, entre autres celui des créatures bougeuses et interlopantes qui poulpent les doublures profondes de la conscience humaine. J’avoue que dans ce genre, Philoctète et Silikath d’Alexandrie n’ont rien écrit d’équivalent, ni même d’approchant. Il n’est point, pour moi, de plus bel éloge.
Je vous prie, Monsieur et très estimé confrère, de trouver ici l’expression de mes sentiments dévots.
Marcel Aymé
Illustration: Sculpture de Pierre Bettencourt.
Sentiments dévots ? Cela fait drôle de voir ce mot employé sans y mettre un sens péjoratif…
Sacré Marcel ! Il aimait jouer avec les idées reçues.
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Oui, cette lettre est très drôle, quel style! Depuis Molière le mot « dévot » n’est plus en odeur de sainteté, si je puis dire, moi il me rappelle « dévotion ». 🙂