Voilà un petit livre très futé qui vaut en poids de plaisir et de surprises beaucoup plus que ses modestes 85 pages. Original aussi, car en dépit de son format « restreint », le lecteur a entre les mains un livre gigogne, une poupée russe, soit:
– un « presque » conte pour enfants ayant pour héroïne Alina (13 ans),
– une histoire à suspense qui mêle à la fois un vol de document rare et une énigme apte à bouleverser et même « renverser » l’histoire de la découverte du Nouveau Monde,
– un opuscule de présentation du musée du quai Branly, établissement unique au monde dont on célèbre en ce moment le 10e anniversaire,
– enfin le regard qu’Adrien Goetz porte à travers cette « fantaisie » sur l’œuvre d’art, la fonction du musée, la nature de l’expérience esthétique.
Pour 11,50€ me direz-vous, cela fait beaucoup! Oui, et c’est la gageure, la subtile réussite de ce texte dense où l’on se divertit en apprenant beaucoup. Car la merveille est que ces « fils » se croisent, se tressent avec un naturel, une facilité déconcertantes: Adrien Goetz n’appuie pas, ne pontifie pas, il dit les choses comme ça, en passant… mais il les dit.
Je ne reviendrai pas sur ce MacGuffin efficace qu’est l’histoire d’Alina « mélange d’Alice au pays de merveilles et de Zazie dans le métro », sur sa relation avec le musée dit « des arts lointains »*, son intérêt pour Christophe Colomb et les Taïnos, peuple « le premier découvert, le premier à disparaître », car ce serait révéler le coup de théâtre du dernier chapitre qui fait le sel du récit. Non, j’évoquerai les coulisses, voire les arrière-coulisses de cette monumentale et parfaite machine muséale qu’aucun guide ne décrit et que nous découvrons sous la houlette ludique et informée d’Adrien Goetz. Tiens, par exemple la naissance aux forceps de ce génial projet initié par le président Chirac: au milieu d’un concert de mécontentements, de résistances de tous ordres (riverains, conservateurs, administrateurs, universitaires), il a fallu le professionnalisme, la ténacité d’une petite équipe d’affidés constituée à l’époque héroïque de la « préfiguration » autour de Stéphane Martin pour que le musée advienne, existe. Ce n’est pas sans humour qu’Adrien Goetz donne au passage quelques coups de griffes: les pontes du CNRS (« Centre national repos et santé »), l’explorateur qui a fait son « terrain » dans des hôtels cinq étoiles, l’inculture crasse des ethnologues qui, après deux mois sur le terrain, « bassinent des amphithéâtres entiers pendant trente ans »…
Plus sérieusement nous visitons les soutes et la structure de ce grand navire conçu par Jean Nouvel et Gilles Clément: le « silo », l’ « atelier », les salles de stockage des objets, le laboratoire de photographie et de numérisation, les sécurités drastiques à tous niveaux, les parois de béton anti-inondations, le jardin et son lac sous l’édifice, les murs végétaux externes et internes (dans le bureau panoramique du président dont on nous dit qu’il aurait la main verte grâce à un « secret »), la magnifique terrasse au faîte du bâtiment qui fut transformée en un terrain de jeu à XV, etc. Et bien d’autres choses belles ou insolites que seule cette sorte de littérature polyphonique peut nous offrir. Et surtout, surtout ce que ne pourra jamais donner le meilleur des guides: l’envie curieuse, le désir d’émerveillement, cette force étrange et magique qui vous pousse irrésistiblement vers un lieu singulier.
Oui, Monsieur Goetz, que nous ayons 7 ou 77 ans, nous irons avec Alina la rêveuse voir comment au Quai Branly les peuples du monde dialoguent!
Les oiseaux de Christophe Colomb, Adrien Goetz, Éditions Gallimard**.
* selon l’heureuse formule de Félix Fénéon.
** signalons le soin dans la réalisation de l’ouvrage: papier de qualité, illustrations monochromes et belle mise en page.
Illustrations: Éditions Gallimard / Bibliothèque Médicis – LCP.