DSC013500D’abord cette histoire qu’affectionne Francis Marmande, critique et musicien de jazz français.
Une lettre arrive à la poste centrale de New York City, simplement adressée « Au plus grand bat­teur de jazz ». Un employé black s’écrie  « Je le connais, il habite près d’ici, c’est Roy Haynes. » Il lui apporte la lettre. Roy Haynes sourit: « Le plus grand, c’est Max Roach. Voici son adresse. » Max Roach, flatté, dit: « Écoutez, le plus grand vit encore, c’est Jo Jones. Il habite pas loin. » Jo Jones ouvre l’enveloppe et lit ceci: Cher Ringo Starr…

Tout ceci pour dire: ne ratez pas Whiplash* le film de Damien Chazelle qui sort en salles. Vous comprendrez pourquoi aujourd’hui on n’entend plus que du « jazz Starbucks », pourquoi cette musique au glorieux passé agonise faute de postulants capables de donner le meilleur d’eux-mêmes. Faute de musiciens décidés à devenir des génies après avoir reçu, un soir où on a mal joué, une cymbale et des moqueries en pleine tête comme l’affirme la légende de Charlie Parker, le roi du be-bop.
Ce film électrisant, vivifiant, poignant devrait être vu par tous les moins de 25 ans qui ont quelque chose dans les tripes: un peu de musique, un peu d’écriture, un peu d’art, peu importe mais une chose à dire expressément, urgemment, comme une question de vie ou de mort.

Ne pas manquer non plus la rediffusion de l’extraordinaire concert enregistré le 31 octobre 1967 au Konserthus de Stockholm avec Miles Davis (trompette), Herbie Hancock (piano), Wayne Shorter (saxophone), Ron Carter (contrebasse) et Tony Williams (batterie) – sur Mezzo le 27/12 à 19h, le 29/12 à 23h30 (vidéo ci-dessous). Un quintet verti­gineux – en plein éclat, jouant avec une folle énergie une musique intempo­relle. On mesure (hélas) la dégringolade actuelle…
* « coup de fouet » également le titre du morceau de jazz de Hank Levy qui est le fil rouge musical du film.

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Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique / Vidéo Dailymotion.

  1. serge says:

    J’ai aimé ce film mais je n’ai pas vu les mêmes choses que vous.
    C’est l’histoire d’un prof caractériel qui terrorise, humilie et organise la compétition. Dans ses cours c’est: sélection, élimination, humiliation, expulsion et suicide ou abandon de la musique.
    On aurait envie de lui casser un trombone sur la tête pour lui apprendre les bonnes manières et de lui conseiller un bon psychothérapeute.
    Finalement viré, il réussit à organiser un traquenard pour se venger où son ex-élève sera définitivement grillé auprès des professionnels de New-York. Bien sûr cela ne se passe pas comme prévu et la fin est jubilatoire. Plus qu’un film sur la musique c’est un film sur la fascination que peut exercer un prof gourou et abusif.
    A un seul moment du film il dit « let’s have fun ». C’était bon d’entendre ça parce que
    tout l’aspect, bonheur d’être ensemble pour s’adonner à sa passion, avait été quelque peu occulté. Et je ne sais pas si ce film peut susciter des vocations.
    A part ça grâce à vos conseils j’ai lu dernièrement « Les îles » de jean grenier et c’est un grand livre.

    1. Oui, je suis pour partie d’accord avec vous, le personnage du professeur gourou est abominable, mais tellement caricatural et si peu réaliste qu’à la limite on n’y croit pas. Sa présence est dans l’économie du film purement « dialectique », pour permettre au héros de s’élever et de se construire « contre », triompher et finalement être le vrai « donneur de leçon ». Le seul élément de véracité dont le professeur est l’expression est l’effroyable, impitoyable esprit de compétition dans le milieu de la musique de jazz, secteur somme toute restreint (au niveau des audiences) où il y a beaucoup de prétendants et peu d’élus; sélection organisée en sous-main par quelques majors du disque affiliées à des organisateurs de festivals. Il est vrai, comme vous le dites, que toute cette mécanique de l’ascension professionnelle éclipse l’essentiel: la musique et le plaisir qu’elle procure. Si le film ne suscite pas de vocations, au moins il est un avertissement lucide pour ceux qui voudraient se jeter dans la bataille…
      Ravi que « Les Iles » vous ait plu.

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Patrick Corneau