Je ne pouvais, en tant que lorgnon, ne pas réagir à ce portrait d’écrivain porteur de monocle fait par Bernard Quiriny dans Monsieur Spleen: Notes sur Henri de Régnier, suivi d’un Dictionnaire des maniaques, Éditions du Seuil, avril 2013:
« Et puis il y a le monocle sur l’œil gauche, que Régnier a faible. «Personne ne portait le monocle avec autant de hauteur que Henri de Régnier, écrit Morand, tête rejetée en arrière; le sien était une sorte d’œil de bœuf creusé dans le dôme de son crâne poli, pareil à une sixième coupole de Saint-Marc.» – Le monocle est alors un accessoire en vogue, surtout depuis que Leconte de Lisle a donné l’exemple. Capus, Bourget, Muhlfeld, Scholl, Valéry en arborent; et combien de personnages chez Proust! Le monocle est un objet chic mais de maniement délicat: il a tendance à tomber et rend ridicules ceux qui le portent mal, comme le peintre Dujardin qui grimace et qui pleure. Savoir garder son monocle est un art qu’à plus de cinquante ans Régnier ne maitrisera pas encore parfaitement. «Je n’ai pas trop mal lu et j’ai lu sans que mon monocle ait quitté mon œil un instant, se félicite-t-il après avoir reçu Boylesve à l’Académie. Cela, c’est bien, et j’en ai quelque fierté.» – Avant une conversation, Régnier assure son monocle. Quand il plaisante, ses traits se détendent et le monocle tombe. Pour bien porter le monocle, il faut donc demeurer impassible. Régnier l’adopte dans ce but, et aussi pour former un écran entre le monde et lui comme un bouclier miniature. »
On aura compris les avantages subtils qu’offre cet accessoire désuet mais existentiellement indispensable à quelques-uns… Par ailleurs, on aimerait citer bien d’autres extraits de cette biographie intelligentissime et pleine de mélancosolitude. J’y reviendrai. Bernard Quiriny est un universitaire qui sait écrire en dehors de sa chapelle, rare…
Illustration: Éditions du Seuil.