« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie? » Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ? »
Charles Baudelaire, Les fenêtres (1863) dans les Petits poèmes en prose du Spleen de Paris.


Les fenêtres et aussi les murs recèlent mystère et secret:

« Quand j’habitais aux environs d’une vieille ville italienne, je suivais pour ren­trer chez moi une ruelle étroite et mal dallée, resserrée entre deux murs très hauts. (On n’imagine pas la hauteur de ces murs en pleine campagne.) C’était en avril ou mai. A un endroit où la ruelle faisait coude, une odeur puissante de jasmins et de lilas tombait sur moi. Je ne voyais pas les fleurs, cachées qu’elles étaient par la muraille. Mais je m’arrêtais longuement pour les respirer et ma nuit en était embaumée. Comme je comprenais ceux-là qui enfer­maient si jalousement ces fleurs qu’ils aimaient! Une passion veut des forteresses autour d’elle, et à cette minute j’adorais le secret qui fait toute chose belle, le secret sans lequel il n’est pas de bonheur. »
Jean Grenier, « Les Iles Kerguelen » dans Les Iles, L’Imaginaire, Gallimard, 1977.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique

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Patrick Corneau