AVANT
« Dans cet horrible Paris, dans cet invivable Paris, et dans ce quartier insoutenable. Ce quartier, le fameux Montparnasse, des dizaines de cinémas, des dizaines de boîtes de nuit, des dizaines de restaurants, pleins d’in­nombrables touristes, bourgeois, goinfres, gais par-dessus le marché, et toute cette populace hostile, agressive, une jeunesse insolente, désinvolte, qui serait supportable si elle n’était pas agressive. Où est-ce que c’est moi qui la juge agressive depuis que je n’ai plus la jeunesse, depuis que ma timidité physique croît avec l’âge? Que j’aimais cette ville, quand j’étais jeune. Elle était tellement vivable et vive, cette ville, avec une autre jeunesse au visage plus détendu, plus intellectuelle la foule, plus élégantes les femmes, plus soignés les hommes, toujours un peu insolente, c’est vrai, mais c’était une insolence de char­me. On pouvait si agréablement y vivre. Elle me semblait être une sorte de paradis: « Paris Reine-e-e du monde, Paris c’est une blon-on-de. » Ce qu’on chantait Paris. J’ai connu Paris tout jeune, je venais de la campagne et ceux qui avaient connu Paris avant moi étaient encore plus enthousiastes que les gens de ma génération. Oui, comme ça devait être beau quand Paris était plein de jardins. Paris, aujourd’hui l’anti-paradis, le purgatoire ou bien l’enfer. Paris, c’est la dureté même du monde; pour retrouver un endroit où l’on puisse vivre il faut chercher ailleurs, dans des petites villes de la Suisse allemande, ou dans les villes baroques ou rococo de Bavière. Paris se dégrade de plus en plus. Ouille, ouille, ouille! Je suis pris au piège, j’ai tant voulu y vivre et, hélas, « écrire ». J’ai écrit, ce que j’ai écrit, j’ai eu les satisfactions que demandait ma vanité et, avec ça, aussi les amertumes. Comme j’ai mal choisi.

Il y a un certain temps j’aurais pu m’en sortir, aujourd’hui je n’ai plus d’issue, je n’ai plus la clef, la clef des champs. 0 vastes champs parfumés, ô vastes champs fleuris… Je pleure, je crie, je suis damné; ouille, ouille, ouille… » Eugène Ionesco, La quête intermittente, Gallimard, 1987.

MAINTENANT
Selon Olivier Magny « Trois critères conditionnent la coolitude à Paris: posséder un iPhone, porter des Converse et manger des sushis. » Panoplie à quoi il faut ajouter: la barbe de trois jours, le casque-écouteurs urbain rivé en permanence dans et hors métro, la trottinette pour les filles, le vélib’, les films en VO, le café gourmand, les p’tits week-ends…
Tout(e) Parisien(ne), de souche ou d’adoption, se reconnaîtra dans cet étrillage des us, tics et coutumes du Parigot dans sa version bobo (sachant que le Bobo c’est toujours l’autre, celui qui vous ressemble mais en mieux, que vous dénigrez tout en l’enviant secrètement…).
Dessine-moi un Parisien, d’Olivier Magny, Ed. 10/18, 12€.

Illustrations:  Couverture de Les Parisiens tels qu’ils sont, Robert Doisneau, textes Robert Giraud et Michel Ragon, Delpire, 1954, Collection  » Huit » / Éditions Bourgois.
  1. V. says:

    Et, lu récemment: le parisien doit dire qu’il aime Paris et surtout qu’il adooooore marcher dans Paris. Marcher c’est encore mieux que le Vélib’, c’est un moyen d’entrer en « résonnance » (arf!) avec la ville. Ils sont drôles les autochtones.

    1. Oui, avec peut-être une nuance sociologique à introduire entre le « Parisien de souche » et le « Néo Parisien », Parisien d’adoption, d’origine provinciale qui, parfois, en rajoute sur la « parisianité » pour faire oublier la tache originelle… 🙂

  2. À Biarritz, je déambule souvent chaussé de Converse et il m’arrive d’arborer une barbe de trois jours. Mais, pas de I Phone, pas d’écouteurs. Café gourmand exclu car mauvais pour la ligne. Svelte toujours! Boycott des films doublés, c’est-à-dire vandalisés. Quoi d’autre ? Ah, oui. Les pt’its ouiquindes. Sur ce chapitre, je ne fais pas dans le pt’it, mais plutôt dans le genre perpète. Un bobo balnéaire sympa, au final.

  3. Rodrigue says:

    N’empêche que la véritable quintescence bourgeoise c’est bien en « province » qu’on la trouve. A Paris, il y a toujours mieux que vous: plus riche, plus cultivé, plus intelligent ou plus ouvert que vous. Dans les villes plus petites on appartient vite à « l’élite locale » avec malheureusement tous les sentiments qui vont avec: orgeuil, suffisance, mépris de tout ce qui est « étranger ».

    1. Bien vu. Paris ville « ouverte » certes, mais aussi avec ses mondanités où l’on trouve la quintessence du mondain et ses « combats de requins en piscine chauffée » comme disait Dominique De Roux. 🙂

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Patrick Corneau