La Revue Des Deux Mondes de juillet-Août vient de consacrer un important dossier aux Rolling Stones (signatures de Michka Assayas, Charles Ficat, Gérard Hocmard, Marc Lambron, Jean-Pierre Naugrette, Éric Neuhoff, Arnaud Viviant). Avec, en prime, une approche du phénomène rock ‘n’ roll du rédac’ chef Michel Crépu assez impertinente…
N’en déplaise aux têtes carrées du Quay d’Orsay, la vieille revue à couverture orange est capable de soulever ses jupons pour s’élancer sur le dance floor… (extraits)

DESCRIPTION
« Des millions de personnes se souviendront d’avoir un jour assisté à un concert du groupe emmené par Michael Philip Jagger, né le 26 juillet 1943 à Dartford, dans le Kent: un spectacle total en mégavision, avec éclairages, écrans, murs d’amplis et feux d’arti­fices; les années soixante et soixante-dix mises en bocal par des icônes qui bougeaient encore; une sorte de bande dessinée à forts décibels pour baby-boomers nostalgiques. En principe, les Rolling Stones vous en donnaient pour votre argent. Sur scène, c’était un ouragan galvanisé par des rockers branchés sur secteur. Mick Jagger, qui tenait du boxeur et de la sorcière vaudou, bougeait comme une sorte de marsupilami électrocuté, lèvres en avant et pelvis élastique. Il était une Greta Garbo, la mauvaise fiancée du vaste monde. A ses côtés, Keith Richards, le plus grand guitariste rythmique de l’histoire du rock, moulinait les accords avec des airs de capitaine Crochet envapé; une silhouette d’araignée, les joues creuses de la momie de Rascar Capac, des bandeaux indiens et des bottes de lézard, ce prince des lignes tranchait d’estoc et de taille.
Avec Jagger et Richards, vous contempliez ainsi une tête à claques et une tête de mort. Derrière eux, le batteur Charlie Watts, imperturbable hibou, frappait tel un métronome les toms et les cymbales; il aimait surtout le jazz et les boutiques d’antiquités, mais ne cédait jamais sur les rythmes meurtriers des fins de concert. Ajoutez-y Ron Wood, le guitariste intronisé Rolling Stone depuis 1975, plus un bassiste et un pianiste mercenaire, une section de cuivres et des cho­ristes, et vous aviez devant vous le plus grand groupe de rock ‘n’ roll du monde. Le dinosaure aura su tenir longtemps sur ses pattes, tel une sorte de Jurassic Park ambulant. » Marc Lambron, « Requiem pour les stones ».

REFLEXION
« On parle toujours sur un ton de sacristain tuberculeux des « Pères fondateurs de l’Europe ». Oui, bien sûr. Mais le rock a plus sûrement encore rebattu les cartes, et cela d’une manière telle qu’on ne l’avait jamais vu sur le Vieux Continent. Mick Jagger et Paul McCartney comptent largement autant que jean Monnet et Robert Schuman. Veut-on des signes d’une bonne santé européenne? Eh bien les voici.
Tout se tient dans cette histoire: dans son autobiographie, Life, Keith Richards raconte son enfance de petit Anglais à peine émergé des ruines du Blitz. Il n’y a pas si loin de Churchill à Satisfaction: quand ont lieu les funérailles du Vieux Lion, le 30janvier 1965, l’affaire rock ‘n’ roll est déjà lancée depuis longtemps. Est-il si surprenant qu’une telle vitalité se manifeste dans un pays qui a tenu tête au mal hitlérien? Le Royaume-Uni est sorti en ruines de la lutte contre le nazisme, mais moralement intact. Cela porte des fruits, il est permis de penser que le rock en fait partie. Ce n’est pas seulement, comme on le répète toujours si bêtement parce que la lan­gue anglaise se prête mieux au rythme binaire, qu’elle a trouvé dans le rock un partenaire idéal. C’est aussi parce que la langue anglaise (de part et d’autre de l’Atlantique) est une langue qui n’a pas été souillée en son cœur. Grande différence avec le français, toujours aux prises avec ses impossibilités honteuses, comme on le voit par exemple avec toute la sémantique nationale, patriotique. En anglais on peut tout dire, pas en français – sauf exceptions rarissimes. »
Michel Crépu, « Rendez-vous avec les Rolling Stones – Editorial ».

(SATISF)ACTION

Illustration: « (I Can’t Get No) Satisfaction » (chanson élue « BEST song of all time » par Rolling stone Magazine), 1965.

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Patrick Corneau