De Baudelaire (« la bêtise à front de taureau ») et Jean Paul à Sartre et Valéry, en passant par Schopenhauer et Flaubert, les écrivains se sont toujours inquiétés de la bêtise. Et ne manquent pas d’avertir le lecteur des risques qu’elle comporte, ne serait-ce qu’à l’évoquer… « La bêtise n’est pas mon fort » est l’aveu le plus désespérant jamais arraché à l’intelligence humaine. Le fort de la bêtise est bien qu’elle demeure impénétrable au M. Teste de Valéry. L’esprit ne la saisit pas, au point que, dans ses moments d’ébriété philosophique, il en arrive à oublier ou même à nier son existence – laquelle finit toujours par se rappeler à lui de la façon la plus immédiate et la plus brutale.
Tout le génie d’Archimède ne trouva rien à objecter au glaive d’un légionnaire qui s’impatientait et selon un dicton juif, là où un idiot pose une pierre, dix intelligents n’arrivent pas à l’enlever. Sur ce point, Schiller avait précédé Valéry: « Contre la bêtise, les dieux eux-mêmes s’efforcent en vain ».
Le sagace Aberto Savinio dont j’ai déjà célébré ailleurs l’aérienne et dilettante profondeur propose une savoureuse approche :
« La bêtise. La bêtise, cet amour inavouable, exerce sur nous un pouvoir hypnotique, un attrait invincible. Je l’ai souvent expérimenté dans un tramway, dans des lieux publics, au café. Me voilà assis à une terrasse, et, auprès de ma table, où je suis en train de parcourir les continents les moins explorés de l’intelligence, des inconnus prennent place. Comme il arrive ordinairement, des propos que tiennent ces gens, une bêtise honnête, inspirée, enchanteresse se dégage. Peu à peu, mon aventure mentale se dissipe, je perds la trace de mon errance solitaire, je succombe à l’appel primordial de la bêtise, mon oreille s’emplit de la voix de la sirène. Adieu, ô intelligence! Plus de pensée, plus nulle quête, plus la moindre volonté. Un alanguissement infiniment doux m’envahit, de même que, à la suite d’une insomnie prolongée, nos nerfs finissent par se dénouer dans l’épuisement voluptueux du sommeil.
Et je m’adresse à vous qui me lisez, pour vous demander: ‘Pour nous autres, qui sommes les fils de l’Intelligence, et à la fois du Péché, cet appel ne serait-il pas celui-là même, nostalgique et immensément lointain, du Paradis Perdu? »’ Alberto Savinio, Encyclopédie nouvelle, Gallimard, 1977.
Illustration: Librairie José Corti
S’inquiéter de la bêtise ?…en voilà une bêtise…
La bêtise est inoffensive.
La bêtise n’est pas le mal.
Entre le très grand sage, pénétré du vide, mutique, baignant dans son océan de sérénité, et le crétin congénital, il existe la vie d’efforts et d’ascèse du premier pour parvenir à ce que le second a trouvé dès sa naissance (Hum….!)
Le sage ne traite personne de crétin, pas même lui-même.
Ah, nostalgie du paradis perdu, nostalgie de l’enfance, nostalgie de la vie foetale, nostalgie d’Eden : un poème là dessus ici :
http://poesie-et-racbouni.over-blog.com/article-eve-incredule-78659443.html