« Seul l’homme intelligent et le sot savent être sédentaires. La médiocrité est inquiète et voyage*. » (Nicolás Gómez Dávila, Carnets d’un vaincu, éditions de L’Arche, 2009)

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Jhammershoi9.1271058132.jpg’ai toujours admiré les écrivains qui entreprennent chaque jour un voyage vers l’inconnu et sont, cepen­dant, toujours assis clans une pièce. Je pense aux chambres des solitaires. Tout d’abord à celle de Pascal, peut-être parce que c’est la première que cite Paul Auster dans ce chapitre de L’Invention de la soli­tude où il parle des pièces carrées, rectangulaires ou rondes dans lesquelles certains se réfugient. Pascal est l’auteur de cette pensée effarante qui dit que tout le malheur des hommes est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.
Auster cite beaucoup d’autres chambres. Celle d’Amherst, par exemple, dans laquelle Emily Dickin­son écrivit toute son œuvre. Celle de Van Gogh à Arles. L’ile déserte de Robinson Crusoé, une sorte de chambre ouverte à tous les vents. Les chambres de Vermeer, éclairées obliquement par la lumière du jour. En fait, Auster aurait pu parfaitement mettre à côté de Vermeer, Hammershoi, ce peintre danois qui peint de façon obsédante des pièces vides. Ou citer Xavier de Maistre qui voyageait autour de sa chambre. Ou encore Virginia Woolf revendiquant une chambre à soi. Ou les « hikiko­mori » qui, au Japon, s’enferment dans les maisons de leurs parents pour rester face à leur ordinateur. Ou Murphy, le personnage de Beckett qui, ne se levant jamais du fauteuil à bas­cule de sa chambre de Londres, aspire à la liberté et à une sorte d’immobilité en évitant de participer à quelque intrigue que ce soit, mais se retrouve néanmoins au cœur de mésaventures invraisemblables. Murphy prouve clairement qu’un fauteuil à bascule dans une chambre est préférable à l’intempérie et à la pluie. Mais qui le sait?

[*Un artiste de la chambre – mais noire, le photographe Willy Ronis, déclarait: « L’aventure ne se mesure pas au nombre de kilomètres. Les grandes émotions ne naissent pas seulement devant le Parthénon, la baie de Rio ou les chutes du Zambèze. L’émotion, si vous en êtes digne, vous l’éprouvez devant le sourire d’un enfant qui entre avec son cartable, une tulipe dans un vase sur lequel se pose un rayon de soleil, le visage de la femme aimée, un nuage au-dessus de la maison. Les plus fortes sensations d’exotisme ne me res­tent pas de bistrots de Soho, de Prague ou de Rostock, mais de ceux de Paris: Chez Alcide, aujourd’hui dis­paru avant même la destruction des halles de Baltard; Chez Victor, en haut de l’impasse Compans; rue des Rigoles, devant le zinc de la Compagnie des archers de Ménilmontant; ou parmi les joueurs de belote au café guinguette de la rue des Cascades. »]

Illustration: « Dust Motes Dancing in the Sunlight », 1900, Vilhelm Hammershoi (1864–1916).

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Patrick Corneau