Commentant le dernier volume du journal de Renaud Camus (Une chance pour le temps : Journal 2007, Fayard, janvier 2010) où ce dernier observe les travers de notre temps, morigène, dénonce et maugrée contre les déboires rencontrés dans ce qu’il est convenu d’appeler « la vie quotidienne », s’interroge sur son statut d’auteur consensuellement « ignoré », Michel Crépu conclut avec ces mots :
« M’intéresse ici la constance avec laquelle un individu donné choisit de ne rien laisser passer qui contrevienne, dans son esprit, à l’idée qu’il se fait de la vie qu’il souhaite se donner. C’est un genre d’héroïsme ou plutôt de plaisir supérieur. Avec cela un humour sur soi constant qui répand un air continûment frais au travers des pages, un peu comme ces discrets ventilateurs qui font voleter les mèches de participants à une émission de télévision.
Réactionnaire, Camus? Anti-moderne? Suprêmement incorrect? Je ne dirai pas cela, non, et d’ailleurs cela m’est égal de répondre à ces questions lassantes, tant il est vrai que ces journaux doivent être lus dans leur continuité, leur sinuosité propre. Nul n’est obligé de se sentir assailli comme il en convient lui-même, à un tel point d’intensité. Ce n’est nullement mon cas, tout au contraire. J’ai les meilleures relations du monde avec mon marchand de journaux vietnamien, mon épicier marocain, mon serveur de pizzeria algérien, et mon boulanger est japonais. Et j’aime infiniment cette sorte d’américanité à la française.
Quel ennui d’avoir à insister sur tout cela, quelle fatigue, quel manque d’aisance. Vite, un bon livre. »
Michel Crépu, « Journal littéraire », Revue Des Deux Mondes, mai 2010.
Le journal qu’il soit littéraire ou intime est l’endroit où l’écrivain dépose son idiosyncrasie, ses particularismes, ce qu’il pense être la part la plus singulière de lui-même – tout en réservant ses secrets. Dans une époque dominée par la soif effrénée de/du pouvoir – pour lequel tout sujet doit être lisse, transparent et sans particularités, la tenue d’un journal peut s’avérer être un « genre d’héroisme ». Et celui qui le tient mériter d’être calmement soutenu… dans l’indifférence générale.
Illustration: Editions Fayard