hmorganlettrine2.1266333590.jpgclarice-lispector-1.1266335239.jpg2010 devrait voir l’œuvre de l’écri­vaine Clarice Lispector (1920-1977) recevoir, en Fran­ce, la reconnaissance que mérite celle qui reste l’une des plus importante et surtout la plus authentique figure de la littérature brésilienne contemporaine. Il faut saluer les Editions des Fem­mes pour le magnifique travail de traduction qui nous permet de lire une œuvre qui échappe à toute classification comme à toute influence, qui n’a rien à envier à celle de V. Woolf ou de K. Mansfield ou même de M. Duras à qui on la compare parfois.
On peut aussi s’im­merger dans le superbe choix de lettres* qui vient de paraître aux éditions Rivages et dans lequel se dessine sur plus de trois décennies l’autoportrait émouvant d’une artiste véritablement née à l’écriture. Dans cette cor­respondance essentiellement amicale et familiale, Clarice Lispector exprime tantôt à mi-voix, tantôt sans retenue, l’angoisse quotidien­ne qui l’habite et la brûle, les doutes qui assaillent un esprit épris de per­fection, inlassablement écartelé par les tensions contraires sur elle exercées par une aspiration quasi-mystique à la joie, à la contemplation, et une pente anxieuse, profon­dément mélancolique la sé­parant des autres et de la vie. Dans une lettre qu’elle adresse, en 1948, à Tatiana, sa sœur demeurée au Brésil tandis qu’elle, Clarice, a suivi en Eu­rope son époux diplomate, elle se confie ainsi: « Mais je n’ai pas pu m’empêcher de te montrer ce qui peut arriver à quelqu’un qui a pac­tisé avec tout le monde, et qui a oublié que chacun doit respecter son nœud vital. Ma petite sœur, écoute mon conseil, écoute ma demande: res­pecte-toi plus que tu ne respectes les autres, res­pecte tes exigences, respecte même ce qu’il y a de mauvais en toi – respecte surtout ce que tu imagines être mauvais en toi – pour l’amour de Dieu, ne cherche pas à faire de toi une personne parfaite – ne copie pas une personne idéale, copie-toi toi-même – c’est le seul moyen de vivre. J’ai si peur qu’il t’arrive ce qui m’est arrivé, car nous sommes pareilles. Je jure par Dieu que s’il y avait 9782743620356.1266334463.jpgun ciel, toute personne qui se sera sacrifiée par lâcheté sera punie et ira dans un enfer quelconque. À supposer qu’une vie fade ne soit pas punie par cette fadeur même. Prends pour toi ce qui t’appartient, et ce qui t’appartient c’est tout ce que ta vie exige. Ça semble une morale amorale. Mais ce qui est véritablement immoral c’est d’avoir démissionné de soi. Dieu fasse que tu me croies. »
Il est dommage que la traductrice, même si elle s’en explique dans l’introduction, n’ait pas laissé dans ces belles leçons de vie la touchante saudade, mot fétiche autour duquel se noue l’essentiel d’une sensibilité orpheline d’elle-même. Clarice Lispector écrivait joliment: « Ah, quand je mourrai j’aurai une telle saudade de moi… » Regrettons aussi que la traduction s’affaisse complètement vers la fin (lassitude, fatigue?) au milieu de coquilles et bévues…

* Le Seul Moyen de vivre, Lettres. Traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, éd. Rivages, 208 p., 18 €.

Illustration: Clarice Lispector

  1. Rodrigue says:

    Je ne pense pas que la solution soit dans l’égoïsme absolu tel qu’il semble promu ici (il faudrait encore voir si cette dame n’a pas été absolument flouée par sa générosité), ni dans le sacrifice de soi. Il doit bien exister un moyen terme, que diable !
    Quant au Brésil cela me rappelle que Stefan Zweig s’y est suicidé avec son épouse. Mais ce pays n’est pas la cause de leur mort, puisque dans un livre précédant ayant pour titre: « Brésil terre d’avenir », il faisait une analyse très positive de son dernier pays d’acceuil

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Patrick Corneau