Le jour où la Terre devint plate
Ce qui doit arriver ne peut pas manquer (devise d’Henri IV)
Montmartre perdit ses 130 mètres de dénivelé et la RATP mit hors service le funiculaire qui gravissait la côte du Sacré-Cœur. Les Buttes-Chaumont disparurent progressivement de l’horizon: la rue des Pyrénées qui dévalait du parc vers le Cours de Vincennes devint aussi plate que la Seine. Les hordes de roller-skate du vendredi-soir avaient perdu leur élan et s’époumonaient pour atteindre la Nation. Bref, Paris avait perdu ses célèbres collines et était devenue aussi terne qu’un paysage d’aéroport. Il fallait se hisser au haut de la Tour Eiffel pour apercevoir les limites de la capitale et encore, tout paraissait plus petit, plus lointain, plus mesquin.
Des signes précurseurs étaient apparus l’hiver précédent: l’absence de neige avait été imputée au « réchauffement climatique ». Que nenni! C’était un simple phénomène physique. La plupart des sommets s’étaient effondrés, les pics avaient rejoint leur base dans un grand mouvement d’égalisation général. Parallèlement au déclin des transcendances, on avait assisté à la chute de tout ce qui se redressait, s’érigeait, se poussait du col. Fini l’esbroufe de ces paysages qui vous la font à l’estomac avec des vues panoramiques du haut de sommets qui barrent le chemin et bouchent la vue, plongent dans de charmantes vallées avec leurs ruelles de carte postale. Terminés ces effets de manche géologiques qui visent au grandiose mais vous rendent irrémédiablement mélancolique!
La Terre était devenue plate. Le territoire était la carte!
Le grand changement se fit dans la nuit du 31 décembre, allez savoir pourquoi! Les paraboles perdirent de vue leurs satellites qui, de géostationnaires, devinrent « défilants » et se mirent à errer dans le ciel. Plus de signal à réceptionner, plus de télécommunications – écrans noirs, portables muets. Exit le bruyant babil de tour de babel qui avait régné jusqu’alors. Sur tous les continents s’étendit un silence abyssal. Tel un échiquier, la Terre fut réduite à deux pauvres dimensions… Les deux hémisphères se rejoignirent dans une fraternité fusionnelle qui mit fin aux plaisirs éprouvants de la diversité: plus de saisons, plus de jour ni de nuit mais un entre-deux, un chien-et-loup dont on ne savait s’il était aube ou crépuscule, commencement ou fin… Alors quelques révisions déchirantes se firent dans les esprits: le géocentrisme reprit du service, l’héliocentrisme et la thèse concomitante de la rotondité furent considérés comme des bévues qui avaient mystifié l’humanité. On accusa la CIA d’avoir manipulé les photos transmises par la NASA. De vraies questions harcelaient ceux que la perte de leur portable n’avaient pas rendus fous: qu’y a-t-il derrière l’horizon? Qu’y a-t-il au bout du bout? Qu’étaient devenus les navigateurs du Vendée Globe? On prononçait le mot « globe » à voix basse de peur de raviver de douloureuses et inutiles nostalgies… Des hypothèses hardies apparurent, on fit des efforts de rationalisation à rendre migraineuse une présentatrice météo: le Pôle Nord est au centre, et l’Antarctique s’étend sur toute la circonférence de la Terre. C’est la circumnavigation qui permet de voyager dans un cercle très large de part et d’autre de la surface de la Terre et explique que Christophe Colomb ait pu atteindre l’Amérique sans « tomber du bord de la terre. » La Bible connut un regain d’intérêt sans précédent, les fondamentalistes de toutes obédiences tenaient le haut du pavé, ils avaient leurs chaires dans les universités d’où l’on bannit tout ce qui pouvait ressembler à l’exégèse, l’herméneutique, le comparatisme ou l’historicisme, taxés de « pensée faible ». L’aiguillon de la certitude commençait à tarauder les scepticismes anciens. Les « Devoirs de l’homme » firent consensus. Newton et sa pomme, Einstein et sa funeste relativité furent mis à l’index. Selon un processus de réversion un nouveau paradigme s’installa: plus le monde était plat, plus les idées étaient extrêmes, mordantes, délirantes, monstrueuses…
Les rivières n’ayant plus ni amont ni aval, l’eau ne s’écoulait plus; comme le temps, elle stagnait, provoquant alors le trop plein des océans. La montée des eaux entraîna un cataclysme fatal: un nouveau déluge recouvrit la totalité des terres émergées. Mais c’est un épisode bien connu (La Bible, Ancien Testament, Genèse 7, 6).
Ainsi les destins se font et se défont. Tout passe, tout lasse, tout casse: les saisons, les montagnes et les fleuves comme les hommes. Seule reste la divine incohérence. Dieu n’a pas tout dit. L’apocalypse n’est pas pour demain. Quant à Galilée, là où il est, il se dit peut-être que: « Plat c’est plat ».
Illustration: « La Terre est plate », photographie d’Olivier Rebufa, 1997, galerie Baudoin Lebon.
Comme une vengeance (de la nature), ce plat se déguste et s’apprécie froid, dans le plat ad hoc.
Serveur (pas informatique) : remettez-nous ça !
le chanteur raphael a intitulé son dernier album « je sais que la terre est plate », pour faire énigmatique, dit-il.
et téléphone chante « un autre monde » sur un texte à haute densité polysémique:
http://fr.youtube.com/watch?v=-mdyFdgUNfI#
Je rêvais d’un autre monde
Où la terre serait ronde
Où la lune serait blonde
Et la vie serait féconde
Je dormais à poings fermés
Je ne voyais plus en pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité
Je rêvais d’une autre terre
Qui resterait un mystère
Une terre moins terre à terre
Oui je voulais tout foutre en l’air
Je marchais les yeux fermés
Je ne voyais plus mes pieds
Je rêvais réalité
Ma réalité m’a alité
Oui je rêvais d’un autre monde
Et la terre est bien ronde
Et la lune est si blonde
Ce soir dansent les ombres du monde
A la rêver immobile
Elle m’a trouvé bien futile
Mais quand bouger l’a faite tourner
Ma réalité m’a pardonné
Et NS convoqua sur-le-champ le grand gourou des Créationnistes !