Parce que certaines œuvres rendent à l’état d’enfance, illuminent l’ici-bas de quelques émerveillements salvateurs, on peut aimer les livres au point de se couper de la réalité. Le langage devient alors plus réel que le réel; ce qui ne constituait qu’une infirmité comptée en soustraction des vérités pragmatiques s’affirme comme accès exclusif au monde. Celui-ci s’est dissout dans la bulle irisée de l’imaginaire. La lecture vous a poussé dans une existence fossilisée. Vous êtes devenu un « inadapté de la vie ». Renforçant cette sensation de n’avoir qu’un rapport lointain avec le monde et d’y séjourner sans nécessité, la boulimie de lectures ne vous fait plus appréhender l’existence que du bout de l’âme.
Le besoin maladif de lire finit parfois par engendrer la prétention d’écrire… S’il vous a été donné de vivre dans la poussière des phrases, vous aurez l’impudence de revendiquer noir sur blanc quelques tragiques énormités. Prenant la fenêtre par laquelle vous regardez le monde pour une « position » alors qu’elle n’est qu’une Tour d’ivoire, vous brandirez fièrement le courage de tenir votre solitude pour une « valeur », alors qu’elle n’est qu’un handicap. Si – aggravant votre cas – vous avez sacrifié au culte du style, les esprits graves et doctes vous qualifieront au mieux d' »esthète », de « poseur » voire de « frimeur » ou d' »imposteur » au pire.
Non, Monsieur Larbaud, la lecture n’est pas un vice impuni*.
*Ce vice impuni la lecture. Domaine anglais suivi de Pages retrouvées, Valery Larbaud, Gallimard.
Illustration: « Reading with candle light », photographie d’Alexandra Rauh
et dans certains milieux où il est pourtant possible de grandir, c’est « d’intello » qu’on vous qualifiera, ce dont jamais, tout à fait, vous ne vous remettrez…