En 1943, en pleine guerre, Alberto Savinio qui, malgré la tourmente, essayait de continuer à vivre comme il avait toujours vécu fut violemment apostrophé par un de ses amis: « Voilà bien comment vous êtes, vous les intellectuels! Pendant que le monde se débat dans d’atroces souffrances, vous, vous restez indifférents et impassibles dans votre tour d’ivoire. »
Il répondit ainsi:
« Il n’est pas donné à tout le monde de construire sa tour d’ivoire. C’est le fruit d’une aptitude et le résultat de la prévoyance. Rester enfermé en soi-même est un signe de sagesse et de profonde science de la vie. Rester enfermé dans une tour d’ivoire, cela signifie avoir une vie à soi et se suffire à soi-même, et celui qui a une vie à lui et se suffit à lui-même est un homme satisfait de lui-même et qui ne demande rien aux autres, n’enlève rien aux autres et ne nuit pas aux autres. Si tous les hommes avaient une vie intérieure et se tenaient enfermés dans leur tour d’ivoire, il n’y aurait pas de conflits parmi les hommes et la terre serait la planète la plus paisible de notre système solaire et de tous les systèmes solaires. Tout le mal vient du fait que les hommes, dans une très grande majorité, n’ont pas de vie intérieure, et pour cette raison désirent, convoitent, veulent la vie d’autrui. Le manque de vie intérieure rend les hommes dangereusement légers, prêts à se laisser emporter par les courants dominants, et les jette, sans résistance parce que sans poids, dans la confusion et dans le désordre. Plus un organisme est évolué, plus il est autonome et solitaire. Ainsi sont les individus, de même les peuples. »
Dans une société agglutinante où règnent grégarisme et mimétisme collectif, cette défense de la vie solitaire – invitation à la libération intérieure, est une flèche qui se perdra dans l’azur.
Illustration: « Fenster » dessin de Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1787)
Cette « défense de la vie solitaire » me parle et me convainc totalement. Pourtant, je ne puis m’empêcher de me demander s’il est juste de s’isoler, dans une société qui souffre… Pour élaborer une oeuvre importante, peut-être ?
dans le premier amour de Beckett : le tort qu’on a, c’est d’adresser la parole aux gens
Les critiques acerbes que la tour d’ivoire s’attire prouve qu’elle ne doit pas être totalement mauvaise ! Très beau texte au demeurant. Je m’étais empressée de le transmettre, et voilà que je le redécouvre avec bonheur !